Le retour du « Faire soi-même »

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n°74

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Auteurs : 

Guillemette Lauters

Préférer cuisiner plutôt que consommer des plats préparés aux additifs divers, jardiner et faire son potager, utiliser des cosméiques, des produits d'entretien et des peintures simples et faits maison,  favoriser la réparation, le troc, le don et l'échange de services... Autant de comportements d'éco-consommateurs qui s'inscrivent dans un mouvement bien plus large en plein boom : celui du « faire soi-même » ou Do It Yourself en anglais (DIY).

Une mode qui s'installe

Pour preuve, le marché du bricolage et des loisirs créatifs est en forte croissance. Les outils, produits, kits « à faire soi-même »,  livres, magazines, salons, sites internet, émissions TV, formations et ateliers se multiplient et ont un succès croissant. Cuisine, couture, tricot, décoration, éco-construction, fabrication d'objets, de meubles, de cosmétiques ou de produits ménagers,  tous les domaines sont concernés... Et cela s'amplifie; la moitié des "non pratiquants" du fait maison souhaiteraient en effet s'y mettre.

Comment expliquer ce succès alors que le commerce nous propose tout ce dont nous pourrions avoir besoin, et même le reste ?

La crise économique et ses conséquences sont une cause évidente de l'accélération du phénomène constatée depuis 2007. Faire soi-même permet en effet de réaliser de nombreuses économies et est, en ce sens, avant tout une stratégie de survie en cas de crise. Le site « Les radins » http://www.radins.com/ regorge ainsi d'astuces économiques où le système D est la règle.

Cette tendance se développe également en réaction contre les impacts de plus en plus pesants de la consommation de masse, en particulier l'uniformisation des habitations et des modes de vie et les graves impacts environnementaux et sociaux que nous connaissons. Fabriquer des meubles personnalisés en carton ou en palette de récupération, s'habiller très mode à partir de vieux vêtements, cuisiner à partir de plantes sauvages… autant de thèmes très écolos qui font désormais la une de nos magazines. Nous le constatons également chez écoconso : vous êtes de plus en plus nombreux à nous demander conseils et ateliers pratiques, notamment pour la fabrication de produits d'entretien, de peintures ou de cosmétiques.

« Faire soi-même »  est aussi associé à une démarche de développement personnel, un moyen de reprendre sa vie en main. Créer à partir de matériaux bruts nous laisse en effet le temps de la réflexion sur notre rôle dans le cycle de production des objets de notre quotidien et sur nos besoins réels, souvent éloignés des désirs générés par la société de consommation. Laisser libre court à sa créativité permet également de s'épanouir dans des domaines souvent très éloignés du travail. C'est aussi un retour au monde physique des objets là où tout devient de plus en plus virtuel.

Créer est enfin intimement lié au plaisir et au partage. Manipuler, inventer et réparer des choses de ses mains, les adapter à ses besoins et y apporter sa touche personnelle est très gratifiant. Et quand on est fier de ce que l'on fait, des compétences ou des dons particuliers que l'on développe, il est normal de vouloir en faire bénéficier les autres, d'offrir des cadeaux individualisés ou de rendre service. « Faire soi-même » c'est aussi « faire avec les autres », l'occasion d'échanges dans le couple, la famille, avec les voisins...

Du « faire soi-même » au  « faire ensemble »

Pas étonnant dès lors de constater que le principal moteur de la déferlante du DIY est Internet, qui a permis la diffusion rapide et massive des pratiques, des savoirs et des technologies. Mais surtout, via les forums, réseaux et médias sociaux, l'émergence de nouvelles pratiques d'innovation et de production, on est passé du DIY au DIT, Do It Together (faire ensemble).

Par exemple :

  • Le mouvement des makers et crafters est né aux Etats-Unis en réaction aux produits jetables et aux appareils devenus impossible à réparer (obsolescence programmée). Réparer des appareils, récupérer des objets usés, les combiner, leur trouver de nouvelles fonctions et expliquer aux autres comment faire : tel est le credo des makers. Le mouvement possède une communauté très active aux Etats-Unis et dans le monde. Il est représenté par le magazine « Make » (http://makezine.com/) et sa version féminine Craftzine (http://craftzine.com/
    Citons également le « manifeste du droit à réparer soi-même» (http://static.ifixit.net/static/images/manifesto/ifixit_manifesto_fr.pdf)  du site iFixit (http://www.ifixit.com) ainsi que les nombreux sites où les particuliers partagent leur savoir-faire, au besoin à l'aide de vidéos, par exemple le génial Instructables (http://www.instructables.com/).
  • Force est de constater que ce type d'initiative est peu développé dans le monde francophone. Notons tout de même le forum bricozone (http://www.bricozone.be/fr/), le site http://www.savoirtoutfaire.com/ ou l'ASBL « la foire aux savoir-faire » (http://foiresavoirfaire.free.fr/) . Les blogs et forums développant le « faire soi-même » sont également nombreux.
  • Dans les régions où le DIY est plus une stratégie de survie qu'un hobby ou une philosophie, là aussi Internet permet la mise en partage et la diffusion rapide des techniques. Mis au service de tous, le site AfriGadget (http://www.afrigadget.com/) est une véritable mine de débrouillardise et d'ingéniosité.
  • Dernières innovations en plein essor, les fablabs (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fab_lab)  et les hackerspaces sont des lieux qui mettent à la disposition de tous les outils de production industrielle, pilotés par des logiciels opensource, à l'aide de plans qui s'échangent sur Internet et d'une communauté active de passionnés. Les fablabs permettraient de  fabriquer presque tout, en bois, en métal, en plastique, en résine ou en matériau de récupération.  C'est le MIT qui a lancé cette initiative pour permettre le prototypage rapide des innovations dans les pays les moins avancés. Les fablabs se développent désormais partout dans le monde et prennent de multiples formes. Le concept démarre timidement en Belgique, au Timelab de Gand. (http://www.timelab.org/)

Phénomène de société

Le DIY, toujours favorisé par internet, a également eu un impact sur la mode (customisation et personnalisation), l'art (production DIY, Recyclart, etc.), l'édition (autoédition), la diffusion d'information (blogs et journalisme citoyen),  l'éducation (développement de l'instruction à la maison, apprentissage par projet...) et bien d'autres secteurs. Les initiatives citoyennes (voir à ce sujet notre dossier du mois passé : http://www.ecoconso.be/Les-actions-collectives) qui inventent de nouvelles formes de mobilité, de travail, de production et de consommation se rapprochent également de ce mouvement qui, à y regarder de plus près, ressemble finalement bien à une petite révolution.

Comme de juste, la récupération du DIY par les entreprises et les marques est déjà bien en marche. Des leaders du marché du bricolage se montrent même intéressés par le concept des fablabs (http://owni.fr/2011/09/23/leroy-merlin-se-paye-les-labos-citoyens/) . Le changement d'approche est néanmoins fondamental : le client, ou plutôt l'utilisateur final, fait partie intégrante du processus de conception et est demandeur de solutions économiques, durables, réparables et écologiques.

Création, innovation, invention, partage, tels semblent être les maîtres mots du mouvement DIY.  Faire soi-même y apparaît moins comme un moyen de survie que comme un acte philosophique et politique où chacun peut être acteur d'une alternative créatrice de richesses à contre courant de la société du tout jetable et de l'exploitation des ressources.  

 

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