Les remous économiques de ces dernières années ne laissent plus de doute : les banques et le secteur financier en général ont une grande influence sur la marche du monde, et pas forcément en bien. Les Belges capitalisent 230,6 milliards d'euros sur leurs comptes d'épargne. Et si cet argent servait à financer des alternatives durables, écologiques et solidaires ?

Les dérives du monde financier

Vu le manque de transparence du secteur, il n'est pas évident de savoir à quelles fins est utilisé l'argent que l'on dépose en banque. Quelques indices cependant :

  • Crises et instabilité économiques : les banques sont impliquées dans la crise économique de 2008 et ses conséquences, en raison de leurs investissements à risques. Elles ont été sauvées par les Etats (13% du PIB européen y est passé, soit 1600 milliards d'euro) en raison de leur rôle pour l'économie, les particuliers et les entreprises. Cependant, la plus grande partie des bénéficies du secteur est réalisée sur des opérations de marchés et ne finance donc pas l'économie réelle.

  • Investissements « sales » : les investissements de nombreuses banques financent et soutiennent d'une manière ou d'une autre des dictatures, l'industrie de l'armement, la violation des droits de l'homme ou des destructions de l'environnement. Selon le réseau international BankTrack, aucune des grandes banques n'est épargnée.
  • Banques « climaticides » : en 2011, 20 banques mondiales ont été qualifiées de « climaticides ». La nature des activités financées par les banques a en effet un impact important sur les émissions de gaz à effets de serre. Or, le financement du charbon a doublé entre 2005, date d'entrée en vigueur du protocole de Kyoto, et 2010. D'après l'Agence Internationale de l'énergie, le charbon devrait être la première source mondiale d'énergie d'ici 5 à 10 ans.
  • Spéculation alimentaire et accaparement des terres : dans un contexte de crise économique, les investisseurs diversifient leur portefeuille et profitent de l'augmentation des prix des terres et des matières premières, qu'ils entretiennent à leur tour. Ce sont ces mécanismes qui ont déclenché des émeutes de la faim dans 25 pays en 2007-2008. Les prix ont à nouveau flambé en 2011 et restent très instables. Une situation qui n'épargne pas l'Europe. Selon Arnaud Zacharie, du CNCD-11.11.11, « le secteur financier privé européen est bel et bien en train de dégager des profits colossaux […] en spéculant sur les besoins alimentaires et en participant à la confiscation des terres cultivables ». Les fonds de pension sont aujourd'hui ceux qui investissent le plus dans ces terres. Plus d'infos dans les rapports « Les fabriquants de la faim » de Foofwatch et « Farming Money (Récolter l'argent ) » des Amis de la Terre-Europe ainsi que dans la vidéo « Spéculation sur les denrées alimentaires : pourquoi ? qui ? comment ? ».
  • Financiarisation de la nature : dans l'espoir d'améliorer la protection de la biodiversité, il existe aujourd'hui une tendance à évaluer monétairement les services des écosystèmes et à les vendre comme des marchandises sur les marchés. Si l'idée est intéressante, le marché mondial du carbone et les dispositifs REDD (par lequel les pays émetteurs de gaz à effet de serre financent des projets visant à réduire la déforestation) pour lutter contre les changements climatiques ont déjà montré des dérives : effet d'aubaine et spéculation financière, remise en cause des droits de populations locales et poursuite des émissions.
  • Dérives démocratiques : pour protéger leurs intérêts et leurs investissements, le lobbying des institutions bancaires auprès des pouvoirs politiques est intense. Quelques 700 experts, bénéficiant d'un budget de 300 millions d'euros, travaillent ainsi à Bruxelles. De plus, les conseils consultatifs qui orientent les réglementations financières se composent majoritairement de banquiers. Enfin, d'anciens collaborateurs des grandes banques, Goldman Sachs en tête, sont de plus en plus nommés dans des postes clés des institutions internationales et européennes.
    En 2012, le documentaire « Goldman Sachs – La Banque qui domine le monde », diffusé sur Arte et la RTBF, lève un peu le voile sur ces stratégies peu démocratiques. Plus humoristique, ce sketch de la télé allemande ZDF est lui aussi éclairant.

Image : http://questionscritiques.free.fr

Vu ces dérives et les sommes en jeu, on ne s'étonnera pas de se sentir comme David affrontant Goliath. En effet, à quoi bon faire des dons aux associations, éco-consommer au quotidien et militer pour un monde meilleur si, en parallèle, par l'intermédiaire de notre épargne, nos assurances, nos fonds de pension et même l'argent public via les investissements et dettes de l'Etat, on finance sans le vouloir le monde que l'on combat.

Une finance plus responsable ?

On notera cependant quelques avancées depuis la crise : les organismes financiers sont de plus en plus nombreux à intégrer le social et les droits de l'homme dans leurs principes d'entreprise et la plupart des grandes banques belges font plus attention à leur investissement dans l'armement. Mais pour Financité, réseau d'associations, de citoyens et d'acteurs sociaux désireux de développer et promouvoir la finance éthique et solidaire, c'est insuffisant. En effet, on observe dans ce secteur comme ailleurs un greenwashing certain depuis la crise, d'autant plus que les qualificatifs « éthique », « social », « vert », « durable » ou même « Investissement Socialement Responsable » (ISR) n'y sont pas réglementés. Financité explique : « Il y a 10 ans, tous les ISR étaient évalués par Ethibel (label indépendant de la finance solidaire belge), aujourd'hui chaque banque définit ses propres critères ».

Les associations se regroupent et se mobilisent donc pour obliger les banques à plus de transparence et pour que les normes environnementales et sociales soient réellement prises en considération dans leurs décisions. Elles font aussi du lobbying auprès des pouvoirs publics afin d'intégrer dans les lois la finance responsable et développer un label et des indicateurs pour ce secteur. Enfin, elles font un effort de communication important afin de rendre la finance compréhensible et accessible à tous les citoyens.

Vers un label européen

En 2006, les acteurs de la finance éthique en Europe ont développé les bases de la finance solidaire et d'un label indépendant au niveau européen sur base des critères existants dans certains pays (notamment la Belgique et la France). Le résultat de ces réflexions est sur le site Fineurosol - www.fineurosol.org.

Depuis, la Commission Européenne a déposé un projet de label pour les fonds d'entrepreneuriat sociaux (EuSEF) en cours de discussion au Parlement européen. Mais certains spécialistes craignent une récupération des alternatives, car cette proposition amènerait une confusion entre l'économie sociale et solidaire et l'entrepreneuriat social.

Un « Greenpeace de la finance »

Lancée en 2011 à l'initiative d'un eurodéputé afin de pallier l'absence de lobbying efficace des ONG dans le domaine, Finance Watch est devenu en un an un lobby européen sérieux face à celui du secteur financier. L'organisation a des moyens limités mais compte parmi ses membres de nombreuses associations représentant plusieurs dizaines de millions de citoyens dont Oxfam, Attac, Transparency international, des organisations syndicales et d'autres acteurs de la société civile.

On le voit, si certaines choses avancent, la route risque d'être encore longue avant d'y voir clair, d'autant plus que ce secteur est très mouvant et peu évident à appréhender. Heureusement, des alternatives qui ont fait leur preuve depuis de nombreuses années existent.

Gérer son argent de manière éthique, en pratique

Exiger la transparence

Nous pouvons nous informer sur les investissements de notre banque et lui signifier notre intérêt pour la transparence et le devenir de notre argent.

  • Fairfin (Netwerk) a réalisé un classement des banques belges majeures, en fonction des risques d'investissements nuisibles.

  • Le site Banksecrets - www.banksecrets.eu - permet de contrôler les investissements sales de notre banque et de lui envoyer un e-mail (pétition). Une pétition exigeant la transparence est également disponible sur Financité (www.financite.be).
  • Le site français www.financeresponsable.org apporte aussi de nombreuses informations sur les banques internationales.
  • Enfin, en anglais, le site www.banktrack.org est une mine d'information sur les projets controversés financés par les institutions financières.
  • Un autre moyen de toucher sa banque est de demander directement aux employés à quoi sert notre argent. La liste des questions à poser proposée par Fairfin est une base utile.

Choisir un financier alternatif

La finance éthique, socialement responsable ou durable est l'art de traiter l'argent et ses multiples facettes (épargne, investissement, crédit, gestion de compte…) non plus uniquement sur base de critères de bénéfices financiers, qui demeurent, mais en y intégrant des bénéfices sociaux, éthiques et environnementaux. Pour ce faire, les financiers alternatifs, coopératives de crédit, banques durables, associations ou groupes de citoyens organisant l'épargne et le crédit, intègrent en leur sein un mécanisme de solidarité sur le capital et/ou sur les revenus de ce capital.

Leurs offres de crédits sont a priori destinées à des projets à plus-value sociale, environnementale ou culturelle qui n'y ont pas accès facilement. Leur rôle de soutien de l'économie sociale et solidaire est donc fondamental. Ce secteur est en pleine croissance dans une dizaine de pays d'Europe.


Les banques commerciales

Triodos Bank est en Belgique la seule banque éthique privée. C'est aussi la seule banque a être transparente sur ses investissements. Créée en 1993, sa croissance est excellente.

Même si un compte courant dans une autre banque est nécessaire, Triodos propose des comptes d'épargne à des rendements équivalents aux banques classiques (qu'il est possible de reverser dans un projet) et plusieurs possibilités d'investissement.

A noter aussi le compte d'épargne Ethias banque certifié par Ethibel. De son coté, le compte d'épargne Cigale - le plus ancien compte d'épargne éthique de Belgique, né au sein de la CGER - investit dans des projets à plus-value sociétale ou environnementale et les intérêts peuvent être reversés à une association. Mais depuis qu'il est passé dans le giron de BNP Paribas Fortis, dont les investissements sont controversés, des doutes sont émis sur l'avenir de ce compte d'épargne.

Si l'on veut investir en bourse, les banques proposent des fonds de placements éthiques mais ils sont actuellement peu nombreux à obtenir une bonne place dans le classement des produits financiers éthiques effectué par Financité. Le Triodos Sustainable Pioneer Fund a reçu l'Award 2012 du meilleur fonds éthique.

Pour connaître les fonds répondant aux critères du label Ethibel, il est aussi possible d'en consulter la liste ici.


Les coopératives financières

Les coopératives financières ne sont pas vraiment des banques dans le sens où elles ne proposent pas de produits bancaires classiques. Equivalents à l'épargne, peu risqués, ces placements ont des rendements de 1,5 à 2,5 % en moyenne. Grâce aux fonds placés, Crédal (parts de 10, 100 et 500 ·) et Eltys (part de 285 ·) financent des projets, des entreprises d'économie sociale ou actives dans la lutte contre l'exclusion et octroie des microcrédits en Belgique. De leur côté, Alterfin (www.alterfin.be, part de 62,50 ·), Incofin (www.incofin.be, part de 2604 ·)) et Oikocredit-be (www.oikocredit.be, part de 50·) financent des projets solidaires dans les Pays du Sud.

Investir directement dans des projets et coopératives

On peut également soutenir des projets et des coopératives actives dans d'autres secteurs en achetant des parts et en devenant ainsi coopérateur ou actionnaire. En plus des dividendes (limités à 6%), ils offrent différents avantages (ristourne, conseils, etc). Par exemple : dans la mise en place d'éoliennes citoyennes et la production d'énergie renouvelable (Emissions Zéro, Lucéole ou Nosse Moulin, dans une épicerie bio coopérative ou encore en investissant dans la banque Triodos via des certificats d'action. Bien d'autres projets financés en tout ou partie par la finance solidaire par région, par type avec ou sans déduction fiscale sont listés sur Financité.

Développer la finance citoyenne

Il existe des possibilités moins classiques de placer une partie de son argent afin qu'il serve la communauté locale. Parfois moins intéressantes financièrement, ou plus risquées, leur plus-value sociale est indéniable. Ces systèmes renforcent la solidarité et la résistance de l'économie locale.

En témoigne leur naissance historique dans les pays pauvres et leur développement partout dans le monde, du fait de la crise économique. Ils permettent aux plus démunis de continuer à vivre dignement ou aux personnes exclues des systèmes bancaires classiques de financer leurs projets.


La microépargne collective

Depuis 2010, les groupes Financité se multiplient et proposent des formules originales pour épargner à son rythme, apprendre et discuter de la finance. Ouverts à tous, souples et flexibles, il n'y a pas de montant minimum à épargner. Chacun possède des règles de fonctionnement limitant les risques qui font leur preuve dans le monde entier. Trois formules existent : la tontine, la communauté autofinancée et la micro-épargne.


Les Groupes d'Épargne de Proximité

Des particuliers regroupés en ASBL gèrent eux-mêmes et démocratiquement une partie de leur argent (mis en banque chez Triodos) afin de financer des projets locaux à caractère social ou environnemental. Le taux d'intérêt est faible, la plus-value étant surtout l'amélioration du cadre de vie. Il existe 5 groupes d'épargne de proximité pour le moment : l'Aube à Liège; la Bouée à Francorchamps; les Ecus baladeurs à Ottignies; la Fourmi solidaire à Tournai; le Pivot à Dison.


Les monnaies locales

Enfin, convertir une partie de ses euros en monnaie locale complémentaire, acceptée dans certains commerces, engage à consommer des produits locaux dans des commerces de proximité et des circuits courts. Il en existe une centaine en Belgique, principalement en Flandre mais Bruxelles et la Wallonie rattrapent leur retard.

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Article rédigé par Guillemette Lauters
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