Dans notre société de consommation mondialisée, les étals débordent de produits venus de partout. Difficile de choisir le « meilleur », ne serait-ce qu’au rang de ses qualités intrinsèques. Si, en plus, on se soucie de la préservation de la planète pour les générations futures, de sa santé, ou des conditions de fabrication, c’est encore plus compliqué. Des labels, logos et autres pictos forment une véritable jungle dans laquelle il est difficile de se frayer un chemin éclairé. Que valent-ils ? Sont-ils fiables ? Garantissent-ils une consommation durable ?
Apparu en 1978 à l’initiative du ministère de l’Intérieur allemand et sur décision du ministère de l’Environnement, le label Blauer Engel (Ange bleu) est le plus ancien écolabel au monde. Il s’agissait alors d’harmoniser l’information sur les propriétés écologiques des produits.
Dans les années 1980, les Etats membres de l'UE ont vu dans les labels environnementaux des outils d’incitation à une consommation plus écologique. Divers labels nationaux (Milieukeur, Nordic Swan, NF Environnement, Umweltzeichen, etc.) ont ainsi vu le jour, chacun avec ses propres caractéristiques et critères.
Pour limiter cette prolifération, une ordonnance européenne créait en 1992 l’Ecolabel européen, un label unique disponible dans toute l’Europe.
A côté des gouvernements, les groupements d’intérêt économiques, écologiques, publicitaires et autres développaient leurs propres marquages environnementaux, contribuant à créer la jungle que nous connaissons aujourd’hui.
En 1993, l’Organisation internationale de normalisation ou ISO[1] (International Standard Organization) créait le comité technique chargé d’élaborer les normes d’éco-étiquetage, destinées à favoriser l’uniformité et l’exactitude des mentions, d’une part, et une concurrence loyale, d’autre part.
Pour attirer l’attention du consommateur sur les qualités écologiques de leurs produits et se positionner avantageusement face à la concurrence, les fabricants recourent aux déclarations environnementales. Ce sont des indications textuelles (mots, expressions, slogans) ou graphiques (labels, logos, pictogrammes) imprimées sur les produits, les emballages et tout support de communication.
La norme ISO 14020 établit les principes directeurs pour le développement et l'utilisation des étiquettes et déclarations environnementales. Il est prévu qu'elle soit utilisée conjointement avec d'autres normes applicables de la série ISO 14020, notamment les normes ISO 14024, 14021 et TR 14025, dont il sera question ci-après.
Une norme est «un document qui définit des exigences, des spécifications, des lignes directrices ou des caractéristiques à utiliser systématiquement pour assurer l'aptitude à l'emploi des matériaux, produits, processus et services.[…] Les normes internationales garantissent des produits et services sûrs, fiables et de bonne qualité.»[2]
L’ISO détermine trois types de déclarations et marquages environnementaux.
Les labels Nordic Swan, Blauer Engel, NF Environnement, etc. ainsi que l’Ecolabel européen sont des écolabels officiels, nationaux ou supra-nationaux, initiés par des autorité (ministère, commission européenne, etc.), contrôlés par tierce partie. Ils sont conformes à la norme ISO 14024 qui encadre les « étiquetages environnementaux de type I ».
Ce sont des labels multicritères couvrant l’ensemble du cycle de vie du produit, de l’extraction des ressources à l’élimination en fin de vie, en passant par la fabrication, la distribution et l’utilisation. On parle d’éco-étiquetage. Adoptée par le Global Ecolabelling Network (GEN)[3], la norme ISO 14024 :1999 détermine les catégories de produits concernés, les critères environnementaux, les caractéristiques fonctionnelles du produit, les méthodes d’évaluation, de preuve de conformité et de certification pour l’attribution du label. Les critères environnementaux répondent à des principes scientifiques et techniques éprouvés et sont fondés sur les indicateurs mesurables. La transparence est de mise à toutes les étapes et toutes les parties prenantes doivent pouvoir disposer de toutes les informations pour pouvoir les contrôler. Au bout d’une période de validité prédéfinie, les critères environnementaux et caractéristiques fonctionnelles du produit sont réévalués.
L’obtention d’un label de type I est une démarche volontaire engagée par un fabricant. Un produit ne pourra l’obtenir que s’il est conforme à la législation environnementale et aux autres exigences légales applicables. Le label n’affecte pas une marque ou toute une gamme de produits d’un fabricant mais un seul produit à la fois. Ainsi, dans une marque de produits d’hygiène, on pourra ne trouver qu’un seul shampooing portant l’Ecolabel européen alors que la gamme comporte dix produits différents.
Il existe d’autres labels officiels comme la feuille du bio européen, et les déclinaisons nationales qu’on lui voit associées.
Enfin, même s’ils ne sont pas initiés par des autorités gouvernementales, certains labels sont assimilés par l’Europe à des labels de type I. Ainsi, Natureplus n'a pas été initié par un gouvernement, ou un ministère, mais par un groupement commercial du secteur de la construction. Cependant, ses caractéristiques, surtout depuis l'amélioration des critères en 2011, le portent à être comparable à un type 1. FSC et PEFC sont les seuls labels qualitatifs et transparents à qualifier le bois. Ils sont considérés comme des labels de type I.
Les auto-déclarations environnementales sont des allégations volontaires, non certifiées par une tierce partie indépendante, apposées sur un produit, un emballage, un support de communication, etc. par toute personne susceptible d’en tirer profit (fabricant, distributeur, importateur, publicitaire, etc.). Elles relèvent de la seule responsabilité de ceux qui les conçoivent. Ces déclarations peuvent être formulées sous forme de texte, d’images, de logos ou de pictogrammes communiquant un message sur les attributs écologiques d’un produit. On trouvera ici notamment les termes « compostable », « biodégradable », « recyclable », des logos et slogans émis par des fabricants. Toutes les auto-déclarations environnementales ne se valent pas, le pire y côtoie le meilleur, et c’est dans cette catégorie qu’on trouvera de nombreux exemples de greenwashing.
C’est aussi dans cette catégorie « type II » que se retrouvent la plupart des labels portés par les produits de consommation courante. Labels privés collectifs (Nature & Progrès, Cosmébio, Fairtrade, ,etc.) ou individuels (Biotime de Colruyt, Bio de Delhaize, OK Compost, etc.), ils sont octroyés par des groupements sectoriels, associations d’entreprises, groupements d’intérêt écologique, etc. Ils n’ont pas le caractère « officiel » des labels de type I.
La prolifération de ce type de labels sur le marché ne facilite pas le choix du consommateur. Certains offrent de réels avantages écologiques mais il est difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, d’une part, et de comparer des labels portant sur une même catégorie de produits, d’autre part, à moins d’éplucher scrupuleusement le référentiel de chacun. Ainsi, face à des cosmétiques respectivement labellisés Nature & Progrès, BDIH, Demeter et Cosmébio Bio, le consommateur sera bien en peine, à la seule vue des labels, de répondre à la question lancinante « quel est le plus respectueux de l’environnement ? ».
C’est que la philosophie s’en mêle aussi et comparer les labels s’avère aussi délicat que comparer des pommes et des poires. En effet, Nature & Progrès a développé une charte de l’agriculture bio, Demeter intègre les principes de la biodynamie, BDIH cantonne strictement le pourcentage bio des hydrolats à la seule présence des molécules d’huile essentielle, tandis que Cosmébio, bien que qualitatif, est moins strict et affiche du coup des pourcentages plus élevés d’ingrédients bio.
Pour encadrer les auto-déclarations, promouvoir la transparence, informer le consommateur et favoriser un positionnement équitable des fabricants sur le marché, l’ISO a développé la norme ISO 14021 :1999. Elle propose un guide d’auto-déclaration environnementale qui évite les écueils du greenwashing en rappelant les principes généraux de pertinence, d’honnêteté et d'exactitude que toute auto-déclaration environnementale est censée respecter. Le NBN souligne à juste titre qu’une norme « n'est pas une loi, mais est appliquée volontairement par toutes les parties concernées : fabricants, fournisseurs, clients ou encore prestataires de service. Néanmoins le respect de la norme peut dans certains cas être imposé ». Les autorités publiques peuvent, dans des lois ou des réglementations, renvoyer à une ou des normes. Par exemple, il est stipulé par arrêté royal que « le fabricant qui appose un affichage environnemental sur un produit de construction fait en sorte que celui-ci soit conforme à la norme NBN EN ISO 14021 »[4].
Ce marquage consiste à afficher les performances d’un produit en regard de ses impacts environnementaux (CO2, effet de serre, consommation d’eau, déchets, etc.) à partir d’une analyse de cycle de vie (ACV). Ce sont des données quantitatives présentées sous la forme d’un graphique, parfois accompagné d’informations qualitatives.
L’éco-profil tend à gagner du terrain, principalement dans la communication inter-entreprises . Il cartographie les performances environnementales d’un produit à un instant T. Ces données facilitent une comparaison visuelle avec des produits de même gamme. Actualisées régulièrement, elles permettent de suivre l’évolution des performances du produit et les efforts environnementaux d’un fabricant. Cela dit, pour que ces données soient valides, objectives et comparables entre produits de même fonction, elles doivent idéalement répondre aux exigences d’une même norme, l’ISO 14025 :2006. Le respect de cette norme implique une vérification indépendante de toutes les données utilisées, dont l’ACV et la prédétermination des paramètres d’analyse. Le document produit est une « déclaration », gérée par une société ou un groupe de sociétés, un secteur industriel ou une association professionnelle, des pouvoirs publics, des organismes gouvernementaux ou un organisme scientifique indépendant. Toujours dans un but d’homogénéité sectorielle et de comparabilité, les déclarations de type III sont soumises à un contrôle rigoureux par les parties prenantes et sont diffusées dans le domaine public via des registres nationaux.
D’une manière générale, l’étiquette énergie mise à part, l’éco-profil est assez peu parlant pour le consommateur, ce qui explique sans doute son moindre retentissement sur le marché de la consommation. Par contre, les éco-profils conformes à la norme ISO 14025 s’avèrent de bons outils de comparaison pour l’acheteur public qui doit faire un choix éclairé entre des produits distincts dans le cadre d’un marché écologique. C’est le cas pour l’étiquette énergie, qui est d’ailleurs devenue un marquage obligatoire.
En résumé, pour consommer « écologique », le consommateur pressé voulant jouer la sécurité sans prise de tête se fiera aux écolabels officiels. Offrant un socle de critères solides et un contrôle par tierce partie, ils sont apposés sur de nombreux produits dont ils prennent en compte tout le cycle de vie. Bien que tous officiels, certains labels sont, selon les gammes de produits considérées, plus exigeants que d’autres. Par ailleurs, des labels de type II vont parfois plus loin que certains labels officiels. C’est notamment le cas pour les produits d’hygiène en regard de l’écolabel européen, qui s’avère moins strict que d’autres. Quoi qu’il en soit, le consommateur sera toujours avisé d’approcher les auto-déclarations avec la plus grande circonspection et de se renseigner auprès d'une source d'information neutre .
Cela fait apparaître aussi combien la notion de confiance est importante en regard de l’étiquetage des produits. Tout le monde se souvient des scandales récents de la présence de viande de cheval dans des plats préparés qui n’auraient pas dû en contenir. Par ailleurs, tout ce qui est soumis à réglementation fait tôt ou tard l’objet de rumeurs, de doutes avérés ou non, et de contrevenances. Pour autant, si d’aventure un producteur bio se voit retirer son agrément, il faut simplement considérer que les contrôles fonctionnent bien, ce qui fait la valeur du système plutôt que penser « tous pourris ». Dans un autre domaine, il est interpellant de constater que la valeur éthique de certains labels, comme en témoigne le cas emblématique de Max Havelaar il y a quelques années, peut être mise en doute alors que personne ne remet en question les conditions de production clairement inacceptables de produits non labellisés. Cela nous amène à interroger nos modes de consommation car finalement, en tenant compte des labels fiables et en imaginant qu’ils offrent toutes les garanties dont on peut rêver, sont-ils pour autant les garants d’une consommation durable ?
On peut choisir d’acheter écologique, bio et équitable parce que c’est mieux pour la santé, la planète et les producteurs. Si on ne se pose pas plus de questions, on risque bien de dévoyer les principes du développement durable. En effet, cela a-t-il du sens de consommer des haricots bio en février ? Ils viennent d'Egypte, de Madagascar, voire de plus loin encore. En attendant l’été et les haricots belges, en circuit court, on consomme d’autres légumes locaux et de saison!
En alimentation, on peut facilement « manger sain » et alléger son empreinte écologique sans pour autant passer par des produits labellisés bio, par exemple en privilégiant la production saine maison, les circuits courts et une bonne connaissance des producteurs et de leurs modes de production. Dans d’autres domaines, on peut alléger son empreinte en choisissant le « faire soi-même » (DIY) : produits d’entretien et cosmétiques maison réalisés avec des ingrédients simples, d’origine contrôlée, par exemple. Acheter un vêtement « propre », un meuble en bois durable, un électro économe en énergie, etc. est plus compliqué. Sans les labels, on serait bien en peine de se faire une opinion sur les qualités écologique et sociale des produits. Cela dit, est-ce suffisant pour consommer durable ?
La recherche et le choix d’éco-produits sont une composante importante du rôle du consommateur dans la mesure où cela encourage une offre plus durable. Le consommateur est donc levier de changement, il peut influencer les autorités pour qu’elles légifèrent en faveur du respect de l’environnement et les producteurs pour qu’ils fabriquent selon ces nouvelles réglementations.
Cependant, le consommateur souhaite souvent être guidé dans ses choix et les distributeurs mettent en tête de gondole des produits présentés comme plus écologiques, à tort ou à raison. Ce serait dommageable de laisser aux seuls producteurs et distributeurs le soin de choisir pour nous. D’une part, cela risque de réduire l’offre aux seuls produits que la distribution choisit, selon des critères peu transparents sui lui sont propres. D’autre part, la consommation durable ne porte pas uniquement sur un produit ou un service mais aussi sur la manière de le consommer. Ainsi, la consommation bio et écologique a le vent en poupe. Ce qui avant n’était qu’une petite surface de vente liée à un site de production et de transformation devient finalement un grand magasin comme un autre, à la différence près qu’on n’y vend « que du bio et de l’écologique ». Cela facilite la vie du consommateur qui peut acheter les yeux fermés. Et les caddies de se remplir, comme dans un supermarché lambda, de toutes sortes de produits bruts ou préparés, également suremballés. Cette hyperconsommation labellisée est-elle de la consommation durable ?
Au final, le consommateur ne change pas son mode de fonctionnement. Il continue d’acheter sans se poser la question de ses impacts sur les ressources, les déchets, etc. Des biscuits à base d’huile de palme bio et équitable sont juste vus comme « bons pour la santé » parce que bio. Bio ou pas, l’huile de palme n'est pas un ingrédient santé. En outre, les plantations, même «labellisées bio et durables » restent un problème : monoculture, déforestation, perte de biodiversité, déplacements de populations. Les grands groupes agro-alimentaires, par une communication adroite, nous confortent dans l’idée qu’ils travaillent au développement durable, et nous délestent de la responsabilité de faire des choix. L’être humain est ainsi fait qu’il ira le plus souvent dans le sens de la facilité, du moindre coût comportemental pour ne pas trop changer ses habitudes de consommation. Dans ce cas précis, se retrancher derrière un label est clairement un petit arrangement avec sa conscience.
Moralité, les labels et autres marquages environnementaux sont des outils précieux d’aide à la décision pour des achats écologiques. Pour autant, ils ne dédouanent pas le consommateur de ses responsabilités. Il reste à la manœuvre pour arbitrer ses choix, résolument réfléchis et multicritères, dans le contexte élargi du développement durable.
Label ou pas, pour consommer durable, les règles d’or de l’éco-consommation restent d’application :
Il s’agit aussi de consommer moins et mieux en
L’information neutre, la sensibilisation et la conscientisation du consommateur restent plus que jamais au cœur de nécessaires changements d’attitude en matière de consommation.
[1] L’ISO (International Standard Organization) est une organisation non gouvernementale, sans but lucratif, créée en 1947, composée de 163 membres, organismes nationaux de normalisation de 166 pays. Le Secrétariat central est basé à Genève. Le Bureau de Normalisation (NBN), organisme national responsable de la réalisation et publication des normes, y représente la Belgique. Lorsque le résultat des travaux est publié sous forme de Normes internationales ISO, les membres de l’ISO peuvent les adopter en tant que normes nationales et les traduire.
[2] Une norme ISO est un consensus mondial sur l’état des connaissances dans un domaine donné. Les règles établies par l’ISO représentent donc une garantie de confiance pour le consommateur. https://www.iso.org/iso/fr/home/standards.htm
[3] Le Global Ecolabelling Network (GEN) est la fédération internationale des organismes d’éco-étiquetage
[4] 22 MAI 2014. - Arrêté royal fixant les exigences minimales pour les affichages environnementaux sur les produits de construction et pour l'enregistrement des déclarations environnementales de produits dans la base de données fédérale - Art. 3. § 1er.