Ou comment un patelin anglais qui veut se passer du pétrole accouche de… 2000 initiatives durables de par le monde en 9 ans.
C'est le nom ironique donné à la situation du pétrole par les analystes de la transition. Résumons: le pic pétrolier a eu lieu en 2006, c'est-à-dire que la découverte de nouvelles sources de pétrole est en chute libre et que la production des puits existants commence à baisser. En parallèle, une société en surconsommation totalement dépendante du pétrole !
On voit d'ici les joyeusetés qui se profilent à l'horizon: augmentation des prix, pénuries de toutes sortes, crises économiques, guerres de ressources... Pour s'en convaincre, regardons l'exemple de Cuba qui fut brutalement coupé des ressources pétrolières et importations et dû relever l'insurmontable défi de nourrir sa population en autarcie. L’effort collectif est colossal pour convertir les monocultures destinées à l’exportation et n’importe quel bout de terrain en parcelle productive. Ce qui ne permet tout de même pas à tous les cubains de dépasser le seuil de pauvreté.
Pour les acteurs de la transition, il est donc urgent d’anticiper.
D’autant qu’une autre menace pèse sur notre monde actuel : le réchauffement climatique. Notre capacité à le maintenir sous les 2°C (par rapport à l’ère pré-industrielle) avant la fin du siècle s’amenuise à mesure que le temps passe.
Face au choc pétrolier et au changement climatique, les analystes de la transition voient 4 manières de réagir:
“N'attendons plus que les gouvernements et le monde des affaires construisent à notre place le monde que nous voulons. Imaginons-le et agissons dès maintenant en facilitant l'expression du génie collectif pour construire des modes de vie plus enrichissantes et qui tiennent compte des limites biologiques de la planète.” * C'est parti.
L'expérience débute à Totnes (Angleterre) en 2006, avec Rob Hopkins, l'âme pétillante de la transition. 400 volontaires imaginent et décrivent leur ville telle qu'ils la rêvent en 2030. Ensuite, ils en déduisent les actions à mettre en oeuvre pour faire la “transition” vers la ville écologique de leurs rêves. Les thématiques sont multiples, les méthodes d'animation novatrices et la créativité galopante.
Rob Hopkins, initialement professeur de permaculture
Pour accroître leur résilience locale et réduire les émissions de CO2, voici quelques actions de leur “plan de décroissance énergétique”:
Le fil conducteur de ces actions : utiliser au maximum les ressources locales (matériaux, énergie, nourriture, main d’œuvre, bonnes volontés). Le jour où le pétrole sera à un prix inaccessible, où les magasins ne seront plus réapprovisionnés avec des produits qui ont fait le tour du monde, on sera bien content d’avoir réappris à cultiver les richesses locales ! Et, de surcroît, on peut créer des emplois avec la transition.
Depuis, le mouvement déferle sur le monde: 2000 initiatives dans 50 pays! Le réseau mondial de la transition est mis sur pied pour inspirer, encourager, appuyer et former les initiatives en période de démarrage. 18 réseaux nationaux éclosent, dont un en Belgique :-) ! On a le tournis…
Au niveau méthodologique, le “manuel de la transition”, écrit par Rob Hopkins, pose les constats et concepts fondateurs et propose une méthodologie pratique, des outils d'animation... pour initier et mener une initiative en transition. La bible pour transitionner à qui mieux mieux...
Piquons au hasard quelques ingrédients de la recette « Transition » :
En Belgique francophone, certains groupes en transition sont particulièrement actifs. Allons faire un tour à Grez-en-transition et voyons ce qu’il s’y passe :
Ateliers d’initiatives en transition
Les Initiatives de Transition proposent donc une approche originale : une démarche locale, positive, collective et surtout ouverte à tou(te)s, pour passer à l’action et construire sans plus attendre le monde que nous désirons.
Pas encore la main sur la bêche ? Visionnez ce film sur les initiatives en transition. Vous aller courir planter des patates…
On s'en doute, la formule « en transition » donne des idées... En 2008, Bruxelles Environnement lance l'appel à projets « Quartiers durables citoyens » qui soutient et accompagne des groupes de bruxellois désireux de renforcer la durabilité de leur quartier.
C’est comme cela qu’en parcourant la capitale européenne, vous verrez peut-être des choses étranges… Un potager et un compost collectifs éclosent sur le toit d’un centre sportif. Des habitants pataugent dans l’argile pour construire un four à pain de quartier. D’autres descellent un pavé de leur trottoir afin d’accueillir haricots et glycines. Des « jeux de piste permanents » guident vers les initiatives durables de la commune. Des habitants font du troc dans une armoire de rue (givebox). On danse sur un champ au son du violon et à l’ombre d’un tracteur.
Diversité des projets des quartiers durables citoyens
Vous ne me croyez pas ? Allez faire un tour sur le site des quartiers durables !
Mais la grande différence avec les « initiatives en transition », c’est le nerf de la guerre : dans l’appel à projet « quartiers durables », il y a de l’argent public !
Effectivement, les quartiers durables citoyens sont accompagnés et soutenus durant 2 ans. Ils sont libres d’avancer à leur propre rythme sur leurs projets, mais ils doivent passer par des étapes clés : élargir la mobilisation dans le quartier, réaliser un état des lieux partagé, mettre en oeuvre des projets d’intérêt collectif, évaluer et transmettre aux autres citoyens.
Pour réussir ce parcours digne de professionnels, ils sont soutenus de différentes manières:
(cliquez sur l'image pour voir la carte des quartiers durables citoyens en grand)
L’appel à projets « Quartiers durables citoyens » se veut évolutif et participatif ; il intègre donc les retours d’expérience et les recommandations des citoyens. L’appel à projets a ainsi évolué de façon à soutenir plus de quartiers (25 en 2013 contre 5 en 2008), plus longtemps (24 mois), à apporter un accompagnement plus souple et adapté aux spécificités locales, etc. Pas mal pour un processus public ?!
Et depuis 2 ans, cerise sur le gâteau : il se dote d’un budget participatif ! Les quartiers durables participent donc aux décisions concernant l’affectation des subsides. Cela donne notamment des prises-de-tête extraordinaires à 80 personnes pour différencier les « priorités, critères et indicateurs » de subvention… Du vrai grand bazar, mais qui fait du bien…
Assemblées participatives de 2014
Et finalement une mini vidéo pour voir vivre tout cela.
Les quartiers durables citoyens, par rapport aux initiatives en transition, c’est donc à la fois :
On observera une jolie mise en abîme au niveau des acteurs : face à l’inertie des politiciens, les citoyens montrent la marche à suivre ; les pouvoirs publics reprennent la formule en donnant des moyens à des citoyens qui donnent leur avis… sur la formule ! Ouf, ça sent la démocratie participative, tout cela !
Un point commun aux deux dynamiques, c’est probablement le pourcentage élevé de bonne humeur, d’esprit novateur et d’énergie que l’on y trouve. Alors respirons un peu et plongeons dans ces initiatives citoyennes : le salut est dans le pré.
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Photos de Francis Leboutte.