La permaculture : la complexité décomplexée

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n°103

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Guillemette Lauters

La permaculture, contraction de « permanent » et « culture », est une approche globale ayant pour but le design d'écosystèmes, d’habitats et de sociétés humaines efficaces, efficients et soutenables. Souvent confondue avec de simples méthodes d'agriculture ou de jardinage, la conception permaculturelle va bien au delà : c'est une autre façon de concevoir le monde, dans toute sa complexité. Éthique, principes, exemples... : petit tour d'horizon pour montrer la richesse et les perspectives offertes par la permaculture, cette démarche qui tient compte du fait que tout est lié.

Définition

Datant des années 1920, le concept de la permaculture a été développé dans les années 70 par deux australiens, Bill Mollison et David Holmgren inspirés par les savoirs traditionnels aborigènes, l'agriculture naturelle du non-agir du japonais Masanobu Fukuoka et les connaissances en biologie et en environnement.

« Nous n’avons pas voulu établir un schéma fixe et dogmatique mais un modèle qui intègre plusieurs principes appartenant à de nombreuses disciplines–l’écologie, la conservation de l’énergie, l’aménagement du paysage, la rénovation urbaine, l’architecture, l’agriculture (sous tous ses aspects) et les théories de localisation en géographie. » « Ce n’est pas une synthèse parfaite, ni même suffisante, mais un commencement. Les personnes de tous âges s’adonnant aux occupations les plus diverses trouveront le moyen d’adapter cette idée à leur vie et leur environnement, et, ce faisant, seront à même de voir au-delà des utilisations et des fins immédiates. » (Mollison et Holmgren, 1986, Permaculture 1)

La permaculture s'inscrivant dans la logique écosystémique de liens, d'échanges, de cycles, de flux et de réajustements constants, elle intègre facilement de nouveaux éléments, de nouvelles approches. Culture ne doit donc pas être pris dans son sens agricole, mais bien au sens de culture humaine, de savoir, de société.

Une éthique

Trois principes éthiques font le socle de la conception permaculturelle et se retrouvent par ailleurs dans la plupart des sociétés traditionnelles :

  • prendre soin de la nature (sols, forêts, eau) ;
  • prendre soin des humains (soi-même, communauté, générations futures) ;
  • partager/distribuer équitablement les ressources (limiter la consommation, redistribuer les surplus, recycler).

On notera que les deux derniers principes peuvent être tirés du premier. Dans le graphique du développement durable, l'approche permaculturelle se situerait idéalement au centre.

Source : http://tolunafrbe.files.wordpress.com/2011/03/dev.jpg

Des méthodes issues du design et de la systémique

Pour respecter cette éthique, la mise en place d'écosystèmes soutenables et efficaces implique de tenir compte des relations complexes entre les différents éléments. C'est pourquoi les principes, les méthodes et les outils de la conception permaculturelle se fondent sur des disciplines de la complexité. En particulier :

  • la systèmique, qui est une approche globale d'un sujet, à l'inverse de l'approche analytique classique. Elle permet d'étudier ce qui est reconnu comme trop complexe et qui pose des problèmes de frontières, de relations, de structure, de lois ou de propriétés émergentes  (source : Afscet) ;
  • l'approche écosystémique est une méthode de gestion des ressources tenant compte de tous les éléments d'un écosystème, et de leurs relations, pour favoriser leur conservation et leur utilisation soutenable (voir aussi  Wikipedia) ;
  • le processus de design est une méthode de conception multidisciplinaire qui utilise l’observation, l’analyse et l’expérimentation de solutions innovantes adaptées à chaque contexte (voir aussi Wikipedia).

Cette culture de la complexité explique l'omniprésence des outils de visualisation dans la permaculture (carte mentale, design, facilitation graphique, etc.)

Des principes

L'observation des écosystèmes naturels associée à ces outils et approches permet de définir plusieurs principes généraux de design, de stratégie et de comportements. Ceux-ci guident une approche permaculturelle.

Les principes de la permaculture
Sur http://permacultureprinciples.com/fr/fr_principles.php, cliquer sur l'image pour plus de détails, puis sur chaque icône.


Ces principes sont suffisamment généraux et universels pour s'appliquer dans de nombreux domaines. Ils ne sont pas pour autant figés : en fonction de son contexte, chacun peut déterminer les principes généraux de son propre système.

Le Zonage

Autre outil de choix de la permaculture : le découpage en zones. Il permet de repenser l'espace en fonction de l'efficacité énergétique et de placer les différents éléments qui le composent en fonction de la fréquence d'utilisation et d'attention (de la zone 1 : intensif à la zone 5 : sauvage). Plus un élément demande de l'attention et des visites, plus il doit être proche afin d'optimiser  l'efficacité, le coût en temps et énergie de l'ensemble. Par exemple :



Les zones en permaculture (source)

Le zonage peut être utilisé quel que soit le projet, la zone 0 étant le lieu d'habitation, la personne ou encore la ville, selon l'échelle. Il permet, par exemple, d'analyser l’approvisionnement d'un quartier ou l’accès aux transports à partir de son domicile.


Zones et secteurs (source)

 

Observer et expérimenter

Pour développer un projet en permaculture il s'agira donc de :

  • bien identifier ses besoins ;
  • faire une analyse en fonction des zones et secteurs, prendre le temps d'observer (par exemple la course du soleil, les circuits de passages, etc.) ;
  • tenir compte de l'existant, ce qui est à conserver, déplacer, modifier ou éventuellement supprimer. Tenir compte aussi de leur évolution (par exemple de l'ombre sous un arbre quand il sera à maturité) ;
  • appliquer les principes et les outils de la permaculture en faisant notamment la part belle aux éléments multifonctions, à l'occupation de l'espace dans toutes les dimensions, à la diversité, à la valorisation des bordures, du différent, du petit, à la réutilisation de tous les déchets dans le système, à l'efficacité énergétique, la valorisation et le partage des produits, aux cycles (nutriments, carbone, eau...), etc. 


Un jardin bien pensé grâce à la permaculture (source)

Des exemples pour y voir plus clair

Quelques exemples permettent de mieux comprendre l'intérêt de cette démarche.

Embaucher les poules

La collaboration entre espèces est un principe important de la permaculture. Par exemple, les poules sont traditionnellement élevées pour leurs œufs et leur viande. La plupart du temps, on leur réserve un coin au fond du jardin avec un poulailler et on les nourrit de grains et de nos déchets. En vivant leur vie de poules, elles peuvent apporter bien plus : nettoyer et ameublir le sol du potager à notre place, picorer les insectes et les limaces, enrichir la terre par leurs fientes, etc. À l'aide d'une cage à poule mobile (tracteur à poules), on peut remplacer ainsi le travail des machines ou de l'homme. La santé des animaux s'en ressent, la production et la qualité des œufs aussi.


Tout ce que la poule est et fait est pris en compte dans une approche permaculturelle (source)

D'autre part, les poules doivent recevoir de la visite souvent et ne devraient pas être trop éloignées des habitations. Elles ont besoin de chaleur et en produisent. Ces considérations mènent au design de la serre-poulailler. La chaleur du soleil est emmagasinée durant la journée dans la serre et est transmise au poulailler. La nuit, les poules chauffent la serre à leur tour. Intégrées dans le système, les poules participent à sa mise en place et à son maintien.


La serre-poulailler (source)

Utiliser les plantes de bonne compagnie

La coopération existe aussi entre les plantes. Plutôt que de faire des lignes de légumes demandant beaucoup de travail, les cultiver conjointement permet de bénéficier de l'apport de chacune, comme dans un écosystème naturel.

La guilde Milpa dite des trois sœurs est à ce titre exemplaire. Elle est composée des trois principales plantes cultivées traditionnellement par diverses ethnies d’Amérique du Nord et d’Amérique centrale : la courge, le maïs et le haricot grimpant. Le maïs à la croissance rapide sert de tuteur à la légumineuse grimpante tandis que la cucurbitacée apporte de l'ombre et retient l'humidité au sol par ses feuilles. D'un point de vue alimentaire, ces plantes fournissent tous les apports nécessaires en acides aminés. De multiples associations de ce type sont possibles, que ce soit dans un jardin ou sur balcon (voir Le poireau préfère les fraises. Hans Wagner. Ed. Terre Vivante).

Cultiver une jungle alimentaire urbaine à destination de la communauté

Le jardin des fraternités ouvrières de Mouscron illustre combien imiter et travailler avec la nature est efficace. Créé dans les années 70 par un couple d'ouvriers, le jardin est devenu un véritable Eden de luxuriance et d'abondance en pleine ville. Ici, pas de bêchage, pas de taille et une occupation maximale, créative et intelligente des 1800m² du terrain familial. Il accueille aujourd'hui une immense diversité de légumes, plantes aromatiques, condimentaires et sauvages, sous un peu plus de 2000 arbres et arbustes fruitiers. La production est telle que rapidement une association a vu le jour dans le but de redistribuer les surplus et de favoriser l'accession de tous à une nourriture saine. Ce jardin-forêt se place donc totalement dans l'éthique de la permaculture : prendre soin de la nature, de l'humain et partager les ressources. Il en illustre de nombreux principes et outils. Un exemple à suivre qui accueille des visites du monde entier. D'autres démarches permaculturelles et lieux d'apprentissage sont à voir en Belgique.

Vidéo du jardin des fraternités ouvrières : www.youtube.com/watch?v=P831hBMJB_w

Développer des villes permaculturelles

Les villes et initiatives de transition visent à créer des communautés résilientes face à la double menace du pic pétrolier et du dérèglement climatique. La permaculture en est l'un des fondements, de l'aveu même de Rob Hopkins, l'un des initiateurs du concept . En effet, l'approche systémique permet d’organiser collectivement un quartier, une ville, une collectivité pour les rendre soutenables et efficients en particulier d'un point de vue énergétique et alimentaire. Cela se concrétise dans les actions synergiques de transition citoyennes : mise en place de monnaies locales pour éviter la fuite des richesses, relocalisation de l’agriculture en ville (potagers urbains individuels et collectifs, toits verts...), dépollution des sols en s'inspirant de la nature, développement du covoiturage, des circuits-courts, du compostage collectif, de la réparation, de l'énergie partagée, etc.

Les initiatives de transition sont désormais nombreuses en Belgique. Très dynamiques,elles sont un véritable vivier de solutions créatives pour appliquer la permaculture en milieu urbain ! Pour être plus efficaces elles se sont réunies en réseau : www.reseautransition.be.

La ville permaculturelle (source)

C'est notamment en utilisant les principes de la permaculture que Rui Vasques, designer de 25 ans, a conçu le modèle de la ville parfaite qui lui a valu le prix du Meilleur Étudiant et une présentation nationale de son projet.

Entre richesse des perspectives et risques de dérives

La permaculture prend en compte une multitude de paramètres et fait appel à des savoir-faire traditionnels, des connaissances scientifiques ainsi qu’à la sensibilité personnelle. Elle apparaît comme un levier puissant pour faire émerger des solutions créatives et concrètes aux défis contemporains que sont la raréfaction des ressources et les changements climatiques. Elle propose par ailleurs une vision attrayante et mobilisatrice. Bénéficiant d'un réseau international qui encourage la diffusion libre des savoirs, les pratiques se diffusent rapidement et sont testées dans différents cadres, ce qui permet d'en tirer de précieux enseignements sur ce qui fonctionne ou pas, et pourquoi.

Si la production alimentaire apparaît comme une véritable clef de voûte de la permaculture (agriculture biologique, bio-intensive, agro-foresterie, agro-écosystème, jardin naturel, etc.), cette dernière intègre aussi les autres domaines de la vie collective (habitat, transports, énergie, organisation sociale, économie, etc.) Cette ouverture est tout à la fois la force et la faiblesse de la permaculture. En effet, elle n'échappe plus à un certain effet de mode où chacun se revendique de la permaculture, permettant de vendre designs, concepts et formations à prix d'or, le tout accompagné parfois d'une certaine connotation baba cool ou new age. Tous les domaines étant concernés, certaines approches peuvent en effet paraître ésotériques pour certains, notamment dans la dimension de la spiritualité et du développement personnel.

La permaculture reste cependant une démarche puissante pour développer une véritable culture de la complexité. Que ce soit à l’échelle d’un balcon ou d’une ville, voire d'un pays, elle donne des outils et un cadre de réflexion accessibles qui aident le citoyen et les collectivités à se situer à la fois dans le local et le global et à évaluer les actions menées, qu'elles soient individuelles ou collectives. Enfin, la permaculture ne semble plus si farfelue lorsque l'on voit qu'elle s'intègre parfaitement dans les développements scientifiques actuels, tel que le biomimétisme ou encore le développement de l'économie circulaire, de fonctionnalité, bleue ou symbiotique. Avec un côté ludique en plus ! Amusez vous par exemple à concevoir votre ville permaculturelle avec le jeu www.permacities.com


(source)

Dossier rédigé par Guillemette Lauters.

 

Voir aussi

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