La construction en terre crue : entre tradition et innovation !

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n°96

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Jean-François Rixen

Construire avec de la terre ? « Une drôle d'idée », « C'est du passé ! » ou « C'est solide ? ». Voilà pour les préjugés. Et pourtant… Les constructions en terre abritent aujourd'hui encore 1/3 de la population mondiale ! Et c'est bien normal, la terre est disponible partout localement. On trouve en Irak ou au Yemen des bâtiments en terre de plusieurs centaines d'années, voire milliers d'années, parfois sur plusieurs étages. Chez nous, la terre était très présente en construction jusqu'au 19e siècle, notamment par son utilisation dans le « torchis ». Aujourd'hui, des fabricants, des entrepreneurs, des architectes et des chercheurs proposent de redonner à l'architecture en terre ses lettres de noblesse en adaptant les techniques traditionnelles aux exigences actuelles.

Entre tradition et innovation, nous verrons dans ce dossier les avantages de l'utilisation de la terre crue dans le bâtiment et quelques techniques de mise en œuvre.

La terre crue : que des avantages ?

La « terre » utilisée en construction est en réalité un mélange variable d'argile, de limon, de sable et parfois même de gravier qui se distinguent entre eux par la taille de leur grain (granulométrie). Dans ce mélange, l'argile joue le rôle de « liant », au même titre que le ciment dans un béton.

Nous parlerons dans ce dossier exclusivement de la terre « crue » qui, comme son nom l'indique, se distingue de la terre « cuite » par le fait qu'elle n'est pas soumise à un processus de cuisson. Cette cuisson permet par exemple de transformer la terre crue en brique de terre cuite (celle que le Belge a dans le ventre !).

La terre a des avantages techniques. Grâce à l'argile (liant) qu'elle contient, elle permet de nombreuses utilisations : mortier, enduit, brique de remplissage, brique porteuse, moulée, compactée, empilée, etc. L'utilisation de la terre est compatible avec d'autres matériaux et techniques (ossature bois, construction en bloc, etc.). Enfin, la terre est résistante au feu.

La construction en terre crue présente un bilan environnemental très intéressant. Il s'agit d'une matière première largement disponible, renouvelable, et même recyclable, puisque non transformée. L'énergie nécessaire à sa fabrication est très faible puisqu'aucune cuisson n'est nécessaire. Lorsque les filières locales existent, l'impact lié au transport est quasi nul.

La terre dans la maison améliore le confort des habitants. En contact avec l'air intérieur, elle joue un rôle de régulation de l'humidité relative de l'habitation. La terre dispose en effet de cette capacité de stocker des molécules d'eau lorsque l'air est humide et de les restituer lorsque l'air est plus sec. La densité de la terre étant élevée, elle contribue à l'inertie thermique de la maison, en jouant un rôle tampon (stockage et déstockage de la chaleur). Elle est respirante, saine et sans aucune émanation nocive. Elle peut aussi contribuer au confort acoustique et esthétique de l'habitat.

La mise en œuvre de techniques de construction en terre nécessite toutefois de l'attention. La terre n'étant pas étanche, elle est sensible à l'humidité et au gel. Il conviendra donc de doter la maison de bonnes fondations et d'une bonne toiture : ce seront ses bottes et son chapeau ! Notons aussi que la terre n'est pas un matériau d'isolation en soi. Il devra donc être combiné à un isolant pour améliorer les performances énergétiques du bâtiment. Quant au prix : la matière première est très concurrentielle mais sa mise en œuvre peut être fastidieuse et donc onéreuse.

Quels usages pour la terre crue ?

En fonction des capacités, envies, moyens et temps dont on dispose, plusieurs approches sont possibles pour l'utilisation de la terre crue : de l'auto-construction en valorisant la terre présente dans le jardin à la pré-fabrication en atelier, en passant par le travail réalisé par des artisans ou des entreprises spécialisées.

Pour le gros œuvre

1. Les blocs de terre crue sont moulés et compressés.

Ils peuvent s'utiliser en remplissage de cloison intérieure en ossature bois pour apporter de l'inertie thermique à la maison (adobe simple) ou pour participer à l'isolation lorsque l'on ajoute un isolant (paille par ex.) au mélange (adobe allégé).

Certains blocs de terre comprimée permettent aussi de les utiliser pour la réalisation de murs porteurs intérieurs ou extérieurs. En murs extérieurs, ils sont utilement combinés avec la pose d'une isolation extérieure.

Bloc de terre crue « Argio », Belgique.
Source : www.argio.com

2. Le pisé. C'est une technique de construction ancienne qui consiste à comprimer la terre entre des panneaux de coffrages. Aujourd'hui, on l'utilise lorsque l'on cherche à augmenter l'inertie thermique de la maison, grâce à la densité élevée de la terre. La variation dans les teintes de la terre utilisée pour chaque couche permet des jeux esthétiques remarquables.

Mur en pisé au Musée Source O Rama à Chaudfontaine, Belgique.
Source : www.claytec.be

3. Le torchis en colombage. Le torchis est un mélange « argile-paille » utilisé en remplissage d'anciens colombages ou d'ossature poteau poutre, et armé d'un lattis en bois (clayonnage). C'est une technique qui a été très utilisée en Belgique. On l'utilise donc encore pour la rénovation du patrimoine. Pour de nouvelles constructions, le mélange sera amélioré pour satisfaire aux performances énergétiques recherchées (voir plus bas).

Façade en restauration en colombage et torchis.
Source : Sophie Bronchart – produits Claytec

Pour l'isolation

La terre seule ne suffit pas pour isoler une maison. Elle peut toutefois l'utiliser avec une fibre végétale isolante pour constituer un mélange plus ou moins isolant selon les proportions et selon l'usage que l'on en fera. Au final, les mélanges contenant plus de fibres que de terre peuvent contribuer à l'isolation.

Exemples :

  • Un mélange « terre-paille », en remplissage d'une ossature bois.

Source : Sophie Bronchart.

  • Un mélange « paille-terre » ou « copeaux de bois-terre » déversé dans un clayonnage (lattis de bois), lui-même enduit de terre. Dans le mélange « paille-terre », c'est la paille qui est dominante.
  • Des blocs de « terre-paille », en remplissage d'une ossature.

Source : Sophie Bronchart, Olivier Bal.

Au final, les exigences thermiques recherchées tendent à séparer les fonctions d'isolation de l'enveloppe et d'inertie thermique à l'intérieur de la maison. Ce qui plaide pour une séparation des matériaux isolants à l'extérieur de l'enveloppe et de la terre du côté intérieur de l'isolant. Exemple : un enduit terre sur ballot de paille, qui peut même être préfabriqué sous forme de panneaux en atelier.


Source : Pailletech

Pour les revêtements muraux, plafonds et sols

Des enduits pour tous les goûts et les couleurs. La gamme de produits de plafonnage à l'argile s'est aujourd'hui largement étoffée, tant dans les couleurs que dans les textures. Il en est de même pour les peintures à l'argile d'ailleurs. Les enduits s'utilisent comme des plafonnages classiques pour recouvrir et finir des murs intérieurs.

Enduit de finition contenant des fibres de lin.
Source : www.claytec.be

Variantes. Les enduits de terre peuvent aussi être projetés à la machine. Il existe également des panneaux d'argile pour permettre une construction « sèche ».

Panneaux d'argile Claytec.
Source : www.claytec.be

Enfin, les plus téméraires peuvent aussi se lancer dans des revêtements en terre « damée ». Une couche de mortier de terre est compactée et protégée par une huile/cire de finition.

Produit Sol de finition à l'argile Argilus.
Source : www.ecobati.be

La construction en terre en Belgique

Il existe un patrimoine formidable - mais menacé - de construction en terre en Belgique, en particulier en torchis. De nombreux acteurs (autoconstructeurs expérimentés, architectes, entreprises, artisans, fabricants, chercheurs) tentent de préserver ce patrimoine tout en voulant proposer de nouvelles possibilités techniques pour une utilisation de la terre avec les exigences actuelles, en particulier thermiques. Certaines filières de fabrication belge se mettent aussi en place, notamment une filière d'enduits de plafonnage ainsi qu'une filière de blocs de terre crue porteur. À noter aussi : les normes de mise en œuvre de ces techniques sont en cours de développement. De quoi rassurer les architectes et les entrepreneurs !

Enfin, de nombreux maîtres d'ouvrage ont déjà opté pour l'une ou l'autre technique de valorisation de la terre dans leur bâtiment. Certains, d'ailleurs, ouvriront leur porte lors des Portes Ouvertes Écobâtisseurs les deux premiers week-ends de novembre et partageront leur expérience avec les visiteurs. Avis aux curieux ! Inscriptions sur www.ecobatisseurs.be !

Sources et pour en savoir plus :

Livres :

  • Hubert Guillaud et Hugo Houben, « Traité de construction en terre », CRATerre.
  • Marie Milesi et Johannes Riesterer, « Les sols en terre », Ed. Terre Vivante
  • Alain Marcom, « Construire en terre-paille », Ed. Terre Vivante.
  • Ulrich Röhlen et Christof Ziegert, « Construire en terre crue : Construction – Rénovation – Finitions », Le Moniteur.
  • Institut du Patrimoine Wallon, « Indispensable n°4. Travaux de gros-oeuvre. Maçonnerie traditionnelle. Terre crue ».

Associations proches de la construction en terre :

Exemples de filières de production présentes sur le marché belge :

Voir aussi

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