La géo-ingénierie : un plan B pour la planète ?

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n°102

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La géo-ingénierie regroupe des techniques qui permettent « l’intervention délibérée à grande échelle sur le système climatique terrestre afin de contrer le réchauffement de la planète ou d’en atténuer certains effets ».

L’argument principal des défenseurs de la géo-ingénierie est le suivant : les politiques et les grands sommets pour faire baisser les émissions de CO2 ne mènent pas à des résultats probants. Force est de constater que les concentrations en CO2, en CH4 et en N2O atteignent des niveaux jamais observés dans les calottes glaciaires au cours des 800 000 dernières années  !

L’homme a déjà modifié son environnement de manière déterminante et sans doute irréversible. Les grands cycles biogéochimiques (carbone, soufre, azote, potassium, phosphore…) ont déjà été perturbés. Certains n’hésitent pas à affirmer que la planète est entrée dans une nouvelle ère géologique : l’Antropocène.

La géo-ingénierie, c’est continuer à affirmer la supériorité de l’Homme sur la Nature grâce à la maîtrise de la technique. Dans son livre « Les apprentis sorciers du climat », Clive Hamilton, professeur d’éthique à Sydney, oppose les Prométhéens, confiants en la technique toute puissance, aux Sotériens, plutôt partisans du principe de précaution.

Des questions éthiques fondamentales

Avant d’aborder le côté technique des projets de géo-ingénierie il est essentiel de se poser les questions de l’éthique et de la gouvernance. Si l’on parvient à installer un « thermostat planétaire », qui en aurait la maîtrise ? Des études, citées par Clive Hamilton, indiquent que le déploiement d’un filtre solaire pourrait provoquer une perturbation de la mousson indienne et compromettre les ressources alimentaires de deux milliards de personnes.

Dans le meilleur des cas, une instance internationale où tous les peuples seraient représentés pourrait gérer ce genre de question. Dans le pire des cas, ces techniques seraient aux mains d’intérêts privés. Le nombre de brevets relatifs à des techniques de géo-ingénierie donne déjà une indication de où se trouvent les leviers d’action. Pire encore, il ne faut pas faire preuve de beaucoup d’imagination pour se rendre compte que la maîtrise du climat peut déboucher sur des applications militaires.

Chaque technique de géo-ingénierie a ses limites et ses effets secondaires non maîtrisés : la mécanique climatique est extrêmement complexe. Or, la géo-ingénierie ne peut être expérimentée à petite échelle : pour qu’une technologie ait un effet au niveau planétaire, il faut la déployer complètement, sans pouvoir faire de test préalable sur une zone limitée. Voilà qui paraît pour le moins hasardeux… Par exemple : si l’on met des centaines de tonnes de fer dans l’océan et qu’à un moment on constate que la chaîne alimentaire est perturbée, il est difficile de revenir en arrière  !

D’autre part, la géo-ingénierie promet une solution aux changements climatiques de manière beaucoup plus facile et efficace qu’en agissant sur les niveaux d’émission. Mais si en fin de compte les effets attendus ne sont pas au rendez-vous, beaucoup de temps et d’argent auront été perdus au lieu d’être investis dans la réduction des émissions.

Actuellement la géo-ingéniere est encadrée par les Oxford Principles qui comprennent cinq engagements volontaires (ce qui limite tout de suite leur intérêt), dont la nécessité de mettre en place une gouvernance solide avant le déploiement de techniques de géo-ingénierie. En octobre 2010, les193 pays participants à la Conférence des Nations Unies sur la diversité biologique ont adopté un moratoire de facto contre la géo-ingénierie en autorisant uniquement des expériences à petite échelle, réalisées dans des conditions contrôlées.

Gérer le rayonnement solaire et absorber le CO2

Il existe une bonne quarantaine de projets de géo-ingénierie, dont une dizaine sont considérés comme « réalisables ». Ce dossier vous en présente quelques-uns.

On peut regrouper les méthodes de géo-ingénierie en deux catégories :

  • celles qui visent à retirer du CO2 de l’atmosphère et
  • celles qui sont destinées à diminuer le rayonnement solaire reçu par la Terre.

Nous connaissons déjà l’ensemencement des nuages avec de l’iodure d’argent pour provoquer des précipitations sur les champs. Pendant la guerre du Vietnam, les américains ont d’ailleurs ensemencé les nuages pour rendre la piste d’Hô Chi Minh impraticable. Plus près de nous, certains soupçonnent la dispersion de produits chimiques par des avions (notamment de ligne), qui se marqueraient par des « traînées de condensation » un peu trop suspectes, les chemtrails.

L’ETC group a publié une carte du monde avec les pratiques de géo-ingénierie. Le phénomène n’est donc pas neuf mais il a pris une autre envergure depuis que Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, s’est prononcé en faveur de la dispersion de particules dans la stratosphère, lors d’une intervention en 2006.

Depuis, les recherches en géo-ingénierie ont reçu l’appui de milliardaires comme Bill Gates ou Richard Branson. Le premier finance par exemple la société Silver Lining, a des parts dans Carbon Engineering ltd et a cofondé  Intellectual Ventures tandis que le second promet une récompense de 25 millions de dollar à la meilleure solution pour retirer du CO2 de l’atmosphère (Virgin Earth Challenge).

Les techniques les plus en vue

De manière générale, les techniques qui permettent de contrôler le rayonnement solaire ont un effet plus rapide : quelques années à quelques dizaines d’années. Par contre, elles ne règlent  pas du tout le problème d’acidification des océans.
Quant aux techniques de captage de CO2, leurs effets mettent plus longtemps à se manifester (au moins quelques décennies) mais ils durent plus longtemps également.

Techniques de gestion du rayonnement solaire

Ces techniques permettent de détourner une partie du rayonnement reçu par la Terre ou d’augmenter le pouvoir réfléchissant de notre planète (l’albedo).

L’éclaircissement des nuages au-dessus des océans
Une partie de la lumière du soleil est réfléchie par les nuages et n’atteint pas la surface de la Terre. Plus les nuages sont blancs, plus la quantité de lumière réfléchie est importante. En injectant des produits tels que l’iodure d’argent ou le sel marin via des bateaux téléguidés (on parle de 1500 bateaux), le nombre de noyaux de condensation augmente et la réflectivité moyenne des nuages pourrait passer de 50 à 60 %. Parmi les effets secondaires, il pourrait y avoir des perturbations dans l’écosystème marin.

Bouclier/filtre solaire
Lors d’une éruption volcanique des quantités titanesques de dioxyde de soufre sont émises dans la stratosphère (de l’ordre de 10 à 20 millions de tonnes pour le Pinatubo, en 1991) et un refroidissement global de la planète peut être mesuré. L’idée du bouclier solaire est d’imiter l’effet des volcans en injectant des particules de dioxyde de soufre dans la stratosphère (couche de l’atmosphère comprise entre 12 et 50 km d’altitude). Évidemment, les substances injectées ne restent pas indéfiniment dans l’atmosphère, il faut donc en injecter en continu sous peine de voir le réchauffement reprendre de plus belle.

Les effets peuvent être très variables d’un endroit à l’autre : cela peut être favorable pour une région et catastrophique pour une autre, comment se ferait l’arbitrage ? De plus les particules finiront par retomber sur Terre, ce qui n’est pas sans conséquence sur la santé. Petit détail technique : pour mettre cette technique en pratique, il faudrait de l’ordre de 1 millions de vols de 4h chaque année  !

Techniques de séquestration du CO2

Reforestation
Parmi les techniques de séquestration du CO2, il y a la reforestation. L’idée paraît bonne, pour autant que ce ne soient pas des monocultures plantées à grands renforts d’engrais. L’effet sur les sols et sur la biodiversité pourrait être tout simplement désastreux. Commençons plutôt par freiner la déforestation et plus précisément la destruction des forêts primaires  !

Ensemencement des océans 
Le phytoplancton joue un rôle essentiel dans l’absorption du CO2 par les océans. L’idée est de favoriser sa croissance en ajoutant dans l’eau des éléments comme du sulfate de fer, de l’azote ou du phosphore.

Le mécanisme de base est assez simple : si une plus grande quantité de phytoplancton mort se dépose au fond de l’océan, davantage de carbone est immobilisé pendant quelques centaines d’années. L’efficacité à grande échelle n’est pas prouvée (une amélioration dans une zone pouvant être parallèle à un appauvrissement dans une autre) et la perturbation des réseaux alimentaires marins est à craindre.

Biochar
Le biochar consiste en un « charbon » obtenu en brûlant par pyrolyse des composés organiques, tels que résidus de cultures ou de foresterie mais aussi végétaux spécialement cultivés à cet effet. La pyrolyse en conditions de déficit d’oxygène amène les atomes de carbone à se lier très fortement. Ce biochar pourrait être ensuite enfoui pendant des siècles.

Problème pratique, outre que le procédé est énergivore : ce sont des centaines de millions d’hectares qui seraient nécessaires pour produire la quantité de biomasse (et de biochar) suffisante pour séquestrer une quantité significative de carbone. On aboutirait donc au même problème que pour les agrocarburants, à savoir la concurrence des terres pour la production de nourriture ou pour la production de végétaux destinés au biochar.

En résumé

La Royal Society a réalisé une étude en 2009 qui passe en revue, une série de techniques de géo-ingénierie. L’illustration ci-dessous, parue dans le New Scientist reprend les caractéristiques principales avec les données de la Royal Society :efficacité pour diminuer le réchauffement planétaire, coût, rapidité de mise en œuvre et sécurité.

Les tableaux ci-dessous traduisent le contenu de l’image.

Légende :
  très faible    
  faible     
  moyen
 élevé
 très élevé

Techniques de gestion du rayonnement solaire

Technique

Efficacité

Coût

Rapidité de mise en oeuvre

Sécurité

Limites

Filtre solaire (aérosols dans la stratosphère)

 

 

 

 

 

Risques d’atteinte à la couche d’ozone, effets imprévisibles sur le climat

Miroirs dans l’espace

Effets imprévisibles

Blanchiment des nuages

Effets imprévisibles

 

Techniques de captation du CO2

Technique

Efficacité

Coût

Délais de mise en oeuvre

Sécurité

Limites

Plantation d’arbres

Concurrence avec d’autres cultures

Arbres artificiels/capture du CO2 dans l’air

Nécessite de grands réservoirs géologiques

Biochar

Demande beaucoup de surface, concurrence avec d’autres cultures

Fertilisation des océans

Effets inconnus sur les écosystèmes

Les solutions, c’est maintenant !

Revenons sur terre pour conclure ce dossier : il paraît que l’on « n’arrête pas le progrès » mais espérons que l’homme, en croyant bien faire, ne dégradera pas plus vite une situation déjà très problématique. Le dernier rapport du GIEC, tout juste paru, est alarmant et donne peut-être envie de fermer les yeux et de croire en des solutions miracles. Mais il dit aussi qu’il est encore temps de réagir.

Il est illusoire de croire que le progrès va nous sauver, que l’industrie est seule responsable du réchauffement climatique (pour qui produit-elle ?) ou que ce sont les politiques qui doivent trouver des solutions.
Des scénarios comme ceux explorés dans l’étude Wallonie bas carbone en 2050 montrent qu’il est possible de réduire nos émissions de CO2 de 80% dans les 35 prochaines années en combinant une série de facteurs, notamment les changements de comportements.
Nous faisons partie des 20% qui, sur 10 milliards d’individus, consomment 80% des ressources. Cela signifie que nous sommes aussi à la manœuvre pour réduire nos impacts, dont la production de GES.

Les solutions individuelles ne manquent pas, nous posons tous les jours des choix en matière d’alimentation, d’achats, de gestion de l’énergie dans le logement, de déplacements voire même ... de placements financiers. Les solutions individuelles ne manquent pas, nous vous en proposons dans la fiche-conseil « Luttons contre l’effet de serre ».

Vous vous sentez seul ? Des initiatives collectives mobilisent des citoyens pour produire, partager, se renforcer tant dans le domaine de l’alimentation (GAC, GAS, etc.) que de l’énergie (éolien participatif, projet Négawatt, etc.) ou des services (Repair Cafés, donneries, ressourceries, etc.).

Les petits ruisseaux font les grandes rivières : des millions d’individus agissant à leur niveau, même petitement, avec pour objectif de laisser quelque chose de viable aux générations futures, auront un impact réel et calculable. Des initiatives de grande envergure pourront peut-être compléter ces efforts mais, à ce stade, on peut douter de leur efficacité, de leur innocuité mais aussi de leurs visées véritablement écologiques et altruistes.

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