Vive les semences libres !

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n°90

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Els De Geest

Avec l'arrivée du printemps, les jardiniers parmi nous se réveillent et pensent tout doucement à mettre les mains dans la terre du potager, à semer et à planter. Les voilà donc, le nez plongé dans les catalogues de semences, en train de choisir les tomates, courges, bettes et concombres qui délecteront leurs papilles.

Parlons de ces semences. En quelques décennies, elles sont devenues une marchandise, vendue avec des restrictions nombreuses, au lieu d'être une ressource commune et libre d'accès. Difficile aujourd'hui, pour les paysans de ce monde, de préserver leur autonomie pour la production de leurs semences, d'enrichir ce patrimoine de l'humanité et de sauvegarder la diversité des variétés cultivées. Mais de plus en plus de citoyens s'engagent pour que les semences restent libres !

 

Hybrides F1

Les semences qu'on trouve dans le commerce aujourd'hui sont toutes des hybrides F1 (ce qui ne veut dire rien d'autre que « fécondation 1 » ou « fratrie 1 », ou encore « génération 1 »).

Ces semences sont issues d'une sélection poussée qui a donné des plantes parentales avec un patrimoine génétique très pur et stable. Pas de surprises pour le jardinier ou maraîcher : les semences de plantes à fleurs bleues donneront des plantes à fleurs bleues, les carottes auront exactement les caractéristiques annoncées. La sélection a donc en quelque sorte « bloqué » la variation qui peut apparaître dans la nature.

En achetant des semences hybrides F1, nous n'achetons donc pas un chat dans un sac. Si tout va bien côté météo, nous verrons pousser de belles plantes bien vigoureuses avec des caractéristiques prévisibles et un bon rendement. Ce sont toutes des qualités propres à cette première génération.

De la chimie dans nos assiettes

Malgré ces qualités, les fruits et légumes hybrides F1 ont aussi plusieurs désavantages. Premièrement, les variétés conçues en laboratoire sont testées dans des conditions standardisées et contrôlées. Des conditions bien différentes parfois de leur application sur le terrain, c'est-à-dire, dans des climats et des sols qui, eux, sont très variables !

Deuxièmement, ces plantes produiront, oui, mais en général pas sans coup de pouce chimique ! Leur vigueur n'est pas un gage de résistance aux maladies et sans « intrants », donc sans engrais chimiques et pesticides, elles s'avèrent souvent moins productives ou résistantes aux maladies. Pour le jardinier amateur comme pour le professionnel, la tentation sera grande d'arroser champs et potager de pesticides, fongicides et autres produits chimiques pour préserver la culture. D'ailleurs, bien des semences sont déjà traitées lors de leur collecte pour les protéger pendant la conservation.

Quelle productivité ?

Cela pose un autre problème : non seulement, tous ces intrants font payer un lourd tribut à l'environnement et à la santé humaine mais ils ont également un coût pour l'agriculteur, ce qui influence la rentabilité finale de la culture.

Il est difficile cependant de dissocier la question de la productivité d'une réflexion plus globale sur l'agriculture. En effet, les chiffres de productivité ne concernent souvent que la pure quantité produite par unité de surface. Des critères environnementaux ou sociaux n'entrent pas en ligne de compte. Or, l'agriculture bio, qui n'utilise pas de pesticides ni d'engrais chimiques, a besoin de beaucoup plus de main d'œuvre pour arriver à une production équivalente. Elle crée donc plus d'emplois locaux, qui nécessitent savoir-faire et endurance physique mais pas toujours des diplômes...

La semence qui dit zut

Revenons à nos semences. Avez-vous déjà tenté d'utiliser les graines d'une plante potagère, qu'elle vienne de votre potager, du maraîcher ou du supermarché ? Souvent, le résultat est décevant. En effet, la plante ne produit plus ou très peu, les fruits ou autres parties récoltées n'ont plus les mêmes caractéristiques. L'amoureux du jardinage doit donc se rendre au magasin chaque année pour acheter son stock de semences.

Nous voilà donc deux fois dépendants : une fois pour tous les produits toxiques sans lesquels ces plantes ne prospèrent guère et une deuxième fois pour obtenir chaque année ses semences.

Mais pourquoi donc ces semences nous disent-elles zut quand on les ressème ? Parce qu'elles n'ont plus grand-chose à voir avec les semences naturelles. Les paysans ont, dès les débuts de l'agriculture, cherché à améliorer leur récolte, la résistance des plantes, la saveur et les parfums, la qualité nutritionnelle… La sélection et les croisements sont aussi vieux que l'agriculture elle-même. Mais grâce aux échanges de semences entre agriculteurs, la diversité génétique des variétés paysannes est telle que les semences sont capables de donner une plante productive à chaque saison. Ce n'est pas le cas, comme nous l'avons déjà vu, des hybrides F1.

Catalogues et brevets

Depuis plusieurs décennies, il est obligatoire qu'une semence soit inscrite dans un catalogue officiel - européen ou national - avant d'être mise sur le marché.

L'inscription est liée à des conditions bien précises :

  • pour être inscrite, une semence doit entre autres répondre aux critères « DHS » : distinction, homogénéité, stabilité. En d'autres mots : une variété doit être facilement identifiable et bien distincte de celles déjà inscrites dans le catalogue, tous les individus doivent présenter les mêmes caractéristiques prévisibles et la variété doit rester stable dans le temps, année après année.
  • l'inscription au catalogue est payante.

Cette législation, qui avait pour but au départ de protéger l'agriculteur contre des fraudes, a un impact énorme sur la pérennité des semences de variétés locales et traditionnelles. Car il est impossible, pour la plupart des semences transmises de génération en génération, de paysan en paysan, de répondre à des critères conçus pour des variétés produites en laboratoire à partir d'un patrimoine génétique très restreint et testées dans des conditions contrôlées.

L'agriculteur, ici ou ailleurs, doit payer chaque année pour acheter ses semences et ne peut ressemer à partir de sa production ni développer son propre patrimoine de semences, qui seraient pourtant plus adaptées aux conditions locales et qui garderaient leur capacité de s'adapter plus facilement aux conditions climatiques changeantes, aux nouveaux ravageurs…

Même le don ou l'échange entre producteurs est interdit, seul les jardiniers amateurs ont encore cette possibilité. Des associations comme Kokopelli ou Semailles, qui font un important travail de sauvegarde des semences de variétés anciennes, se retrouvent aujourd'hui dans l'illégalité en France. Kokopelli a même été contraint à payer près de 90.000 euros d'amendes pour avoir commercialisé des semences de variétés anciennes non inscrites au catalogue.

Quelques exceptions existent. Par exemple, les agriculteurs peuvent ressemer une partie de leur récolte de céréales. En Région wallonne, cette possibilité existe également pour certaines cultures maraîchères (contrairement à la France où cette pratique est déjà interdite). Dans la pratique, les réglementations actuelles demandent l'utilisation d'installations onéreuses de tri et de séchage et des précautions sanitaires qui rendent l'opération plus complexe qu'à l'époque de nos aïeux. Et l'échange ou même le don entre producteurs est toujours interdit.

Et le brevetage des semences, qu'en est-il ? En Europe, depuis les années ”˜60, les « COV » ou Certificats d'Obtention Végétale reconnaissent une forme de propriété intellectuelle sur une variété végétale. Nous connaissons surtout la problématique du brevetage dans le cadre des OGM, mais même dans le cas des hybrides F1 non OGM, les conséquences sont lourdes. Même si les brevets sur les semences ne sont pas une chose récente, aujourd'hui, mondialement, une petite dizaine de grandes multinationales détient la quasi-totalité des brevets. Les agriculteurs de ce monde se voient donc obligés de se procurer des semences chez eux, en acceptant l'offre et le prix proposés.

Et en bio ?

L'agriculture bio n'échappe pas à la règle : toutes les semences doivent être inscrites au catalogue.

Toujours est-il que la production de semences reste complexe, qu'en sus de l'inscription au catalogue les semences bio doivent être issues de plantes bio et que les producteurs de semences sont peu nombreux. Pour pallier cette situation, les agriculteurs bio peuvent, si la semence qu'ils souhaitent utiliser n'est pas disponible en bio, avoir recours aux semences conventionnelles non traitées.

Il est assez évident que toutes ces contraintes ne favorisent pas la biodiversité, que du contraire : selon la FAO1, le nombre de variétés de plantes cultivées aurait diminué de 75% depuis le début du siècle.

Patrimoine ou marchandise ?

Les semences peuvent-elles être une marchandise comme une autre ? Est-ce acceptable qu'une petite dizaine de gros semenciers détienne plus de 80 % du patrimoine des semences, pourtant patiemment amélioré pendant des siècles par des générations de paysans ? Ne s'agit-il pas d'un patrimoine de l'humanité, d'un bien commun et collectif auquel tout un chacun devrait avoir accès ?

Qui détient la semence détient toute la boucle. Si l'agriculture est possible sans intrants, sans engrais chimiques, sans pesticides ni herbicides, on peut mal s'imaginer une agriculture sans semences puisqu'elles sont le point de départ de toute culture.

On s'imagine par contre bien le drame pour l'agriculteur du Sud qui, lui, n'a pas les moyens de se procurer chaque année de nouvelles semences, en plus des engrais et pesticides qui les « accompagnent ». N'est-ce pas totalement absurde que le paysan, censé être producteur de nourriture et donc également de semences, soit relégué au rang de consommateur dépendant ? Ajoutons à cela les difficultés pour accéder à la terre et à l'eau... C'est tout le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, c'est l'accès aux ressources communes de l'humanité qui est menacé.

Envie d'agir ?

Plusieurs associations comme Kokopelli (www.kokopelli-be.com) ou Semailles (www.semaille.com) travaillent à la sauvegarde du patrimoine de variétés anciennes ou paysannes, les distribuent sans frais dans les pays du Sud, les proposent à la vente ici mais en encouragent surtout l'échange et l'autoproduction par les jardiniers amateurs.

En tant que citoyen, vous pouvez :

  • vous former pour apprendre à produire vos propres semences, par exemple via Kokopelli ;
  • cultiver des variétés anciennes, des plantes sauvages, en récolter les graines, les échanger ;
  • participer aux bourses d'échange de semences ou en organiser une dans votre quartier, à l'école de vos enfants ;
  • parrainer une ancienne variété via Kokopelli : vous la cultivez, année après année, dans votre potager ;
  • diffuser l'information, organiser une conférence, acheter un livre, calendrier ou autre publication en guise de soutien...

Partout dans le monde, des banques coopératives de semences ou des « Maisons de la semence » voient le jour. Chez nous, Nature & Progrès accompagne la création d'une semblable plate-forme de sauvegarde des semences et de partage de savoir-faire : www.natpro.be/dossiers/etudes/unemaisondelasemencecitoyenne/index.html

Notre assiette est un moyen d'action. La biodiversité, ce n'est pas uniquement la mare au jardin ou la prairie fleurie ; nos choix alimentaires sont tout aussi importants pour la préserver. Cultivons et dégustons donc fruits et légumes anciens, choisissons si possible du pain aux céréales paysannes et encourageons les quelques artisans boulangers en achetant leurs produits savoureux et nourrissants. Pour en trouver, les groupements d'achat peuvent être une piste tout comme les répertoires d'adresses de Nature & Progrès ou de Bioforum.

En savoir plus ?

Vous trouverez quelques excellents documentaires sur internet :

et des dossiers sur :

Des adresses et points de vente :

 

1 Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture.

 

 

 

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