Bonne nouvelle, les réglementations concernant l'utilisation des pesticides se durcissent. On entend même parler de futures zones « zéro pesticides ». Les fabricants sont mis à contribution et semblent s'y plier de bonne grâce : code de bonne conduite, formations des utilisateurs professionnels, étiquetage et conditionnement plus sûrs, développement d'alternatives « naturelles »… Mais peut-on pour autant se fier à leurs discours ? Leur vision d'une nature bien domestiquée ne va-t-elle pas à l'encontre d'une gestion saine et écologique du jardin et de la maison ? Quelles solutions reste-t-il aux consommateurs ?

Des produits « qui tuent »

Les pesticides sont des produits de synthèse. On distingue d'une part les produits phytopharmaceutiques, utilisés en agriculture et destinés à tuer certains insectes (insecticides), plantes (herbicides), champignons (fongicides) ou autres organismes limitant la croissance des plantes cultivées. D'autre part, les biocides, qui sont des produits similaires, contenant parfois les même substances actives, mais utilisés en dehors du secteur agricole (bien que les agriculteurs en utilisent aussi). Ce sont notamment les insecticides et rodenticides (contre les rongeurs) à usage domestique ou industriel, les produits de protection du bois, les désinfectants...

Utilisés massivement depuis les années 60, les pesticides ont contribué à augmenter considérablement les rendements et ont rapidement conquis les jardins familiaux et les espaces publics. Cependant, dès les années 70, des scientifiques incriminent les pesticides dans le déclin de nombreuses espèces : ces produits de synthèse « qui tuent » (cide), pas ou peu biodégradables, s'accumulent dans les écosystèmes et les organismes vivants. Leurs effets sur la santé humaine sont de plus en plus pointés du doigt : cancers, maladies neurologiques (maladie de Parkinson par exemple), troubles de la reproduction et du développement, allergies...

Pour le cancérologue Dominique Belpomme « le lien causal entre l'utilisation à outrance des pesticides [...] et l'apparition de [ces] fléaux de santé publique » ne fait aucun doute. « La seule réponse possible à ce problème majeur est de réduire l'utilisation des produits chimiques mis sur le marché [...]. »

Réduire l'utilisation des pesticides, pas sans le particulier !

Les alertes ont enfin été entendues et les Nations-Unies, tout comme l'Union européenne, encouragent un changement dans les pratiques agricoles tout en agissant pour diminuer les risques et les effets des pesticides sur la santé humaine et sur l'environnement. Dans le cadre de la Directive européenne 2009/128/CE pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, la Wallonie a développé un Programme wallon de réduction des pesticides (PWRP) qui faisait l'objet d'une consultation publique dernièrement et devrait être approuvé en mai 2013.

DéjÖ , depuis 2012, les pesticides pour les professionnels sont distingués de ceux destinés aux particuliers, qui doivent répondre à des normes de sécurité, de facilité d'emploi et d'étiquetage précis mentionnant les risques. Les pesticides présentant un risque cancérogène avéré sont interdits, mais pas ceux dont le risque est seulement suspecté. Pour la suite, le PWRP prévoit d'abolir les pesticides dans les espaces publics ainsi que dans les jardins des crèches, maisons de repos et hôpitaux privés à partir de juin 2019 et de renforcer la protection des eaux de surface et souterraines contre la contamination par les pesticides.

C'est une très belle avancée mais encore trop légère au vu des enjeux et des urgences. En effet, aucun objectif chiffré de réduction des pesticides n'est donné contrairement aux recommandations de la Directive européenne. La réglementation ne traite par ailleurs pas le problème à la source : en limitant la vente et la promotion des pesticides, notamment auprès des particuliers qui se retrouvent un peu seuls face aux informations partiales données par les firmes.

La réduction des pesticides passe pourtant par les particuliers. En effet, un tiers de la consommation de pesticides leur revient. Depuis 1992, la quantité de substances actives utilisées en Wallonie a globalement diminué. Mais si elle est de 2,61 kg/ha sur les surfaces agricoles, elle est de 10 kg/ha pour le traitement des jardins et domaines privés ! Les pesticides que nous utilisons le plus sont les désherbants, employés à des fins « esthétiques », à des dosages ou des fréquences inutilement élevés.

Les conséquences s'observent sur la qualité de nos eaux. Les micropolluants provenant de l'agriculture ont diminué mais les concentrations en glyphosate dépassent les normes de potabilité à de nombreux endroits et ces concentrations ont tendance à augmenter. Cet herbicide fréquemment utilisé par les particuliers et le secteur public est classé « dangereux pour l'environnement » par les autorités européennes et soupçonné d'être un perturbateur endocrinien. C'est l'un des micropolluants des eaux les plus problématiques selon la Wallonie.

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Éradiquons les pâquerettes !

Comment nous vend-t-on ces pesticides ? Le Roundup produit par Monsanto est un cas d'école. Composé de glyphosate, c'est l'herbicide le plus utilisé au monde, grâce notamment à « Rex le séducteur » (video).

Poussé par les changements de réglementations à présenter des conditionnements plus sûrs pour les particuliers, Monsanto vient de sortir le Roundup Gel. Auréolé de son prix « Produits de l'année, grand prix de l'innovation Marketing 2013 », c'est déjà un véritable succès commercial.

Le communiqué de presse lançant le produit en Belgique affirme « Les mauvaises herbes… nous les détestons tous et nous voulons nous en débarrasser le plus rapidement et facilement possible. […] Un 'accessoire' indispensable ! […] Le produit est si facile à utiliser que même le plus inexpérimenté des jardiniers n'a aucune peine à s'en servir ! » Si c'est Scotts Miracle Gro qui le dit… soyons rassurés ! Ce fournisseur officiel du Roundup en Europe a été condamné en 2012 pour mauvaise utilisation des pesticides dans des aliments destinés aux nourrissages des oiseaux sauvages.

Présentant son produit comme « biodégradable » et laissant le « sol propre », Monsanto a été condamné en France en 2009 pour publicité mensongère. Pourtant, la firme affirme toujours sur son site belge (consulté en mars 2013) « Seule la plante est affectée, puisque Roundup devient inactif dès qu'il touche la terre avant d'être décomposé par les micro-organismes du sol. » Dans leur brochure, on lit heureusement « Ne traitez jamais une zone située à proximité d'un point d'eau […] ou débouchant sur un fossé ou un égout [?]. Dans ce cas, il est préférable de désherber à la main ». Le produit « inactif » ne l'est donc pas tant que ça. Ironiquement, la firme décrit d'ailleurs son produit comme « dangereusement efficace ».

Des alternatives moins dangereuses ?

Les fabricants ont donc tendance à minimiser leur impact réel sur l'environnement et flirtent avec le greenwashing. Un changement de vocabulaire s'opère : ils proposent désormais des « produits de protection des plantes » et, on nous l'assure sur leurs différents sites Web, « Le respect de l'environnement est une préoccupation fondamentale » (Bayer CropScience). Il est très instructif de voir quelle vision de l'environnement est proposée.

Bayer, outre ses herbicides au glyphosate, nous propose un désherbant « biologique » et un herbicide « naturel » ornés de la petite fleur de sa gamme « Natria, naturellement efficace ». Il est vrai qu'ils sont composés en partie d'acides gras, comme l'acide pélargonique qui serait extrait du géranium (autrement connu sous le nom d'acide nonanoïque en fait obtenu par chimie « verte » à partir d'huile de colza). Selon Bayer, « Les acides gras sont naturellement présents dans l'environnement et représentent une part importante du régime alimentaire des mammifères, oiseaux et invertébrés ». Certes, selon la fiche de sécurité de ce produit très irritant pour les yeux, la peau, et les voies respiratoires, on en mangerait.

Ces produits ne sont pas autorisés en agriculture biologique et ils ont l'inconvénient de devoir être utilisés à grand volume. Ils sont la plupart du temps associés à d'autres produits chimiques (comme l'hydrazide maléique, irritante, neurotoxique, voire mutagène… ou le glyphosate*) et nous manquons généralement de recul pour dire si ces alternatives sont réellement sans dangers.

La solution n'est pas dans des produits plus ou moins naturels qui tuent tout autant. Les « mauvaises herbes », la mousse ou les insectes ne sont pas des ennemis à abattre. La liste des herbes haïes a éliminer au Roundup ou à l'herbicide au nom rassurant de 'Kid way' (Bayer), également composé de glyphosate, ferait frémir les citoyens et associations qui encouragent le développement de pratiques de jardinage plus écologiques.

Au contraire, des jardins et potagers « nature admise » accueillent et utilisent les avantages des plantes qui y sont listées (ortie, prêle, pissenlit, pâquerette, mouron des oiseaux, etc.) Elles sont en effet nécessaires à la présence de nombreuses espèces de pollinisateurs et d'auxiliaires du jardin. Elles sont utiles pour réaliser des préparations (purins, décoctions...) contre les éventuels ravageurs. Elles peuvent nous fournir des informations sur la qualité du sol, sa structure, son pH…Elles présentent par ailleurs souvent des propriétés comestibles ou médicinales, peuvent servir de paillis ou enrichir le compost et sont loin d'être laides. Elles sont tout simplement nos alliées pour se passer de pesticides et d'engrais et sont indispensables à la biodiversité. C'est finalement exactement la même problématique pour les biocides et désinfectants : trop d'hygiène tue l'hygiène !

Un changement de mentalité nécessaire

Les publicités pour les produits dangereux tentent avant tout de les vendre et de rassurer le consommateur. Le produit tuant l'organisme que l'on nous apprend à détester est présenté comme idéal, facile à utiliser et redoutablement efficace, presque magique. Les dangers sont minimisés, voire occultés derrière la cuisine rutilante, le ciel bleu, les fleurs et les chants d'oiseaux (surtout pas d'insectes !). Ces publicités encouragent à acheter des produits toxiques, que nous utilisons même préventivement. Les vendeurs formés par les firmes et encore peu au fait des méthodes alternatives, les encouragent, même si les produits les plus dangereux sont mis sous clef.

Peu conscients des risques pour l'environnement ou la santé, nous les stockons pendant des années sans réelle utilité (même fermés ces produits peuvent être dangereux) ou, au contraire, les épandons de manière abusive et, finalement, nous ne pensons pas toujours à traiter les emballages comme des déchets toxiques. Dans le cadre domestique, les pesticides présentent pourtant plus d'inconvénients que les problèmes qu'ils sont censés résoudre (détartrer et désinfecter, éliminer les mouches dans la cuisine ou éradiquer la moindre pâquerette…) et peuvent coûter très cher alors que des alternatives plus saines, plus écologiques et plus économiques existent. Réduire les pesticides passe par un changement de regard sur l'environnement, un changement de mentalité et de pratiques. Il est manifeste que la promotion des pesticides n'aide en rien à ce changement.

Comme le précise le Code international de conduite pour la distribution et l'utilisation des pesticides (FAO, OMS, 2010), « La publicité pour les pesticides est un puissant moyen d'influence sur les décisions d'achats et de création d'un mécanisme d'identification d'une marque ou d'un nom de produit, ou de fidélisation par rapport à ceux-ci. [...] Les gouvernements sont exhortés à mettre en place des réglementations appropriées pour la mise en vigueur des normes concernant la publicité. »

En attendant que la promotion des pesticides soit mieux encadrée, aux consommateurs de ne pas se laisser berner ! Si vous voyez des publicités pour des pesticides qui encouragent à les utiliser de manière abusive, minimisent les risques ou induisent le consommateur en erreur, n'hésitez pas à nous les faire parvenir nous ne manquerons pas de les décrypter.

À la recherche de conseils et d'astuces pour vous passer de pesticides ? Consultez notre toute nouvelle brochure « C'est toujours les petits qu'on pshiiit ! Petit guide pour éviter les pesticides à la maison et au jardin ». De nombreuses fiches-conseils sont également disponibles dans le cadre de notre campagne « On ne se fait pas berner ! Les pesticides sous la loupe ».

En savoir plus

Notes :

* Le conseil d'Etat français ordonnait il y a peu le réexamen de l'autorisation de mise sur le marché du Roundup Express, parce qu'il contenait de l'acide pélargonique déclaré comme coformulant et non comme substance active.

Dernière mise à jour
17 avril 2013
Thématiques
Rédigé par
Guillemette Lauters

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