Des entreprises plus durables : greenwashing ou vrai engagement ?

Du greenwashing à la RSE, peut-on croire le discours des entreprises en transition ?
Du greenwashing à la RSE, peut-on croire le discours des entreprises en transition ?

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Peut-on croire au discours des entreprises qui s'engagent dans la transition durable ? Du greenwashing à la RSE, plongée dans diverses nuances de vert.

On veut que les entreprises réduisent leurs émissions de CO2 et de polluants, qu’elles développent des produits plus écologiques et éthiques, qu’elles cessent d’inciter à acheter toujours plus… Mais quand elles se risquent sur cette voie,  on a vite fait de les accuser de greenwashing.

Une chose est certaine : les entreprises sont des acteurs incontournables de la transition écologique[1]. Comment s’emparent-elles des enjeux du développement durable ? Peut-on croire leurs discours ? Du greenwashing à la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), on trouve toutes les nuances de vert.

Alors comment être un consommateur averti et soutenir leurs actions sans tomber dans le panneau d’une communication parfois mensongère ? Il n’y a pas d’outil simple qui classe les entreprises d’après leur durabilité. Il existe toutefois certaines initiatives intéressantes. Et au final, un peu de bon sens permet aussi de faire le tri. Tour d’horizon.

 Sommaire :

  1. Distinguer le produit et l’entreprise
  2. Utiliser des guides et outils d’évaluation
  3. Préférer des structures plus proches et plus durables
  4. Se méfier du greenwashing
  5. Chercher la transparence et les actions concrètes
  6. Fuir les marques qui ont une communication anti-responsable
  7. Rester lucide sur les secteurs et modèle les plus polluants
  8. Questionner la neutralité carbone
  9. Voir l’image d’ensemble et faire preuve de bon sens
  10. Fixer ses propres critères

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Les consommateurs sont en demande de durabilité

Pas un jour ne passe sans que l’on parle de climat, d’environnement ou de durabilité. Les citoyens sont aujourd’hui très informés et sensibilisés à ces questions. D’après eux, après les États, ce sont aux entreprises d’agir en priorité.[2] Cela impacte leurs choix lorsqu’ils font des achats.

Même si le prix reste de loin le premier critère, 44% des consommateurs déclarent prendre en compte les informations environnementales lorsqu’ils choisissent un produit. Ils sont même un quart à avoir renoncé à un achat au cours de l’année écoulée en raison d’une insuffisance de la marque ou de l’enseigne sur le plan environnemental, social ou sociétal.[3] De nombreux consommateurs sont aussi prêts à payer plus pour des produits qui respectent leurs valeurs.

Évidemment, ces enquêtes reposent sur des déclarations mais cela révèle tout de même d'importantes attentes en matière d’engagement des entreprises. Pendant longtemps les entreprises se sont surtout concentrées sur la maximisation de leurs profits. Aujourd’hui, volontairement ou poussées dans le dos par les consommateurs et l'évolution des législations[4], elles doivent aussi intégrer le développement durable.
 

La RSE s’invite dans les entreprises

Avec la puissance qu’ont acquise les multinationales, est apparue la Responsabilité Sociétale des Entreprises. RSE pour les intimes.[5] Elle ne s'attache pas aux produits mais concerne l’entreprise dans son ensemble.

La RSE c’est la responsabilité d’une organisation quant aux impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, qui se traduit par un comportement transparent et éthique. C’est en tout cas comme ça qu’elle est définie par la norme ISO 26000.

La norme ISO 26000 pose des questions dans sept domaines :

  • gouvernance ;
  • droits de l’homme ;
  • relations et conditions de travail ;
  • environnement ;
  • loyauté des pratiques ;
  • questions relatives aux consommateurs ;
  • communautés et développement local.

C’est réellement LE référentiel qui établit les lignes directrices en matière de RSE. Malheureusement, il n’aboutit pas à une certification.

Adopter un plan de RSE n’a rien d’obligatoire. Ceci dit, beaucoup de grandes sociétés réalisent désormais un « reporting non financier ». Il prend souvent la forme d’un rapport annuel pour expliquer les actions et les progrès effectués dans tous les domaines de la RSE.
 

Les objectifs de développement durable comme boussole

L’ONU a défini l’Agenda 2030, un vaste plan d’action signé par 193 pays, qui repose sur 5 piliers (les 5P) : populations, planète, prospérité, paix et partenariats. L’Agenda 2030 est assorti de 17 Objectifs de Développement Durable[6], ou ODD[7]. Ces ODD ne sont pas uniquement destinés aux gouvernements, les organisations et les particuliers sont aussi invités à les adopter.

Les 17 ODD (ou SDG)
Les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’Agenda 2030 de l’ONU
 

Chaque ODD est détaillé par des actions plus précises (appelées « cibles »). Par exemple, pour l’ODD 12 « consommation et production responsables » on retrouve :

  • Réduire le gaspillage alimentaire (au niveau de la production, de la distribution et de la consommation) de moitié, par habitant, à l’échelle mondiale, d’ici 2030.
  • Réduire considérablement la production de déchets via la prévention, la réutilisation et le recyclage.
  • Prévoir des clauses durables dans les marchés publics.
  • Aider les pays en développement à se doter de moyens technologiques et scientifiques pour adopter des modes de production et de consommation durables.

Les Objectifs de développement duable (ODD ou SDG) sont liés entre eux
Les ODD sont évidemment liés entre eux. Cet exemple montre que l’ODD 12 « consommation et production responsables » amène, entre autres, à exploiter de manière durable et respectueuse les écosystèmes (ODD15 Vie terrestre), réduire les déchets alimentaires (ODD 2 Zéro faim), éduquer et sensibiliser à des modes de vie sains (ODD 4 Education de qualité). Source : Rosace des interactions entre les ODD.
 

En Belgique, 71% des PME et 77% des grandes entreprises ont déjà entendu parler des ODD. Parmi celles qui les connaissent, 3 PME sur 10 et 2 grandes entreprises sur 10 ne font rien de particulier à ce sujet.[8]

Le baromètre 2020 des ODD en Belgique[9] indique que 98% des organisations prêtent attention à la durabilité. Pourtant, parmi les répondants, la moitié n’a pas mis en place d’indicateurs ou de monitoring. Comment évaluer alors s’ils progressent dans leurs objectifs ?

70% tendent aussi à prioriser certains ODD au lieu d’en faire une démarche globale. Sans grande surprise, parmi les ODD considérés comme les plus importants, on trouve l’ODD 8 « travail décent et croissance économique » et l’ODD 9 « industrie, innovation et infrastructure ».  Or, les 17 ODD sont indissociables, on ne peut pas s’engager à respecter les Objectifs de Développement Durable qui nous arrangent et négliger ceux sur lesquels on a un impact significatif.

Assez préoccupant : quand on demande aux organisations d’évaluer les objectifs, l’ODD13 « lutte contre les changements climatiques » recueille un score élevé à la fois sur la pertinence et… sur la difficulté à être implémenté.

Tout l’enjeu est donc de faire en sorte que le cœur de métier des entreprises et leur façon de l'exercer soit en phase avec les ODD. Car il ne s’agit pas seulement de produire de beaux rapports et de formuler de grandes déclarations : les entreprises doivent également se transformer.

En Wallonie un outil est proposé aux entreprises pour leur présenter les ODD et les actions les plus pertinents pour elles. C’est surtout important pour les PME d’avoir des outils adaptés à leur taille.
 

Adopter les ODD n’empêche pas le greenwashing

Si les ODD offrent un cadre commun aux entreprises et autres organisations dans le monde, ils ne suffisent pas à insuffler des transformations en profondeur des modèles d’affaires. D’autant que les entreprises peuvent communiquer uniquement à propos des ODD sur lesquels elles un impact positif et omettre ceux sur lesquels elles ont un impact négatif.  

Greenwashing : Total ne montre qu'une partie du tableau
À gauche et au milieu, publicités parues dans un journal en mai et juin 2021, à droite un message posté par TotalEnergies sur son compte Twitter.

Total vend du pétrole depuis presque 100 ans. La compagnie était « pionnière » des ODD en 2017 et vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais on n’efface pas les émissions historiques avec de beaux engagements. Un récent rapport montre que Total a caché pendant 50 ans les impacts des produits pétroliers sur le climat. Pire, elle a organisé la désinformation pour mettre en doute le discours scientifique autour des changements climatiques.

En 2021, elle devient multi-énergie et change de nom pour TotalEnergies afin de refléter qu’elle est maintenant active dans l’électricité, les batteries domestiques pour le stockage de l’électricité, les énergies renouvelables et le gaz naturel (qui reste une énergie fossile, faut-il le rappeler). S’en suit une grosse campagne de communication. L'entreprise se transforme à coup de milliards d’investissements dans les renouvelables mais c’est une fraction de ce qu’elle consacre aux énergies fossiles. Ainsi le groupe prévoit d’avoir encore 80% d’énergies fossiles en 2030 (30% de pétrole et 50% de gaz). C’est en totale contradiction avec l’ODD n°7 « énergie propre et d’un coût abordable » et surtout l’ODD13 « lutte contre le changement climatique ». D’après Reporterre, en 2020, Total a produit 447 fois plus d’énergies fossiles que d’énergies renouvelables, d'après Reporterre.[9b]
 

10 conseils pour faire le tri et aiguiser son sens critique

1. Distinguer le produit et l’entreprise

Une entreprise peut très bien proposer un produit ou une série de produits plus écologiques. Par exemple une gamme de cosmétiques labellisés ou une collection de vêtements faits avec du plastique collecté dans les océans.

Si une marque fait labelliser tous ses produits, c’est bon signe. Si les produits durables restent anecdotiques parmi l’ensemble de l’offre, c’est probablement une opportunité commerciale ou une action pour améliorer son image plus qu’une véritable stratégie globale. Cela n’empêche pas d’opter pour ces produits plutôt que d’autres mais ça n’aide pas à juger de l’engagement global d’une entreprise.

On prête donc attention à la démarche globale de l'entreprise.

Galler révise sa mission
Suite à un changement dans l’actionnariat, le chocolatier décide de revoir son modèle d’affaires pour être plus en phase avec ses valeurs. Il définit une raison d’être qui intègre la durabilité : « Incarner dans le monde du chocolat l’approche entrepreneuriale basée sur la convergence d’intérêts pour bâtir un monde équitable et durable ». Cela signifie concrètement sortir du rapport de force « acheter le moins cher possible et vendre au prix le plus élevé » et passer à un modèle où tout le monde est gagnant. L’entreprise calcule son bilan carbone et constate que 65% de l’impact est lié à la fabrication du cacao. Elle passe alors entièrement à l’équitable (ce qui va considérablement augmenter les coûts d’achat) et finance des projets d’agroforesterie. Elle n’envisage pas encore le bio, tant l’effort à accomplir est déjà grand. C’est un bel exemple qui illustre comment une entreprise existant depuis de nombreuses années peut entamer un virage franc vers plus de durabilité.

 

Belvas, acteur de longue date
Cet autre chocolatier belge a adopté la labellisation Fairtrade et est passé au bio dès 2007, profitant également du rachat de l’entreprise pour adopter une stratégie de durabilité.

 

Nonet, d'énormes économies de CO2
Nonet est une entreprise de travaux publics et de recyclage de déchets de construction, elle a des impacts considérables vu qu’elle manipule et transporte des milliers de tonnes de matériaux. En revoyant sa stratégie, elle a amélioré les conditions de travail de ses ouvriers (notamment en utilisant des exosquelettes qui rendent le travail physique moins pénible) et a adopté la démarche environnementale ISO 14001. Les économises de CO2 sont colossales car la société utilise maintenant des thermos pour garder le bitume chaud sans apport d’énergie, elle préfère le transport par voie d’eau et elle stabilise la chaux hydratée.

 

Au niveau de l’entreprise, divers référentiels RSE ou certifications[10] poussent à l’amélioration des performances sur les plans environnemental, social et économique, les 3 piliers du développement durable. Ils permettent de valoriser les efforts des entreprises. Mais contrairement aux labels pour produits, ils ont l’inconvénient d’être plutôt basés sur des auto-évaluations, pas toujours contrôlées par un organisme indépendant.

Certaines démarches sont très cadrées et concernent uniquement l’environnement. Les principales sont ISO 14001 et EMAS. Dans une déclinaison plus locale, on trouve le label Entreprise Eco-Dynamique à Bruxelles.

La certification internationale la plus connue pour les entreprise durables est B-Corp. Lancée en 2006 aux USA, il s’agit d’un label qui certifie des entreprises avec un impact sociétal et environnemental positif. Les candidats doivent remplir un questionnaire disponible gratuitement. Les entreprises qui obtiennent minimum 80 points sur 200 sont alors évaluées par B Lab, le gestionnaire du label. L'entreprise paie un montant dépendant du chiffre d’affaires pour être certifiée.

Parmi les entreprises certifiées : Patagonia, Nature et Découvertes, Fairphone, Triodos…

Il y a aussi plusieurs entreprises belges parmi lesquelles la brasserie Brunehaut, Simone a soif, CO2logic, Kazidomi, IBA, ASmartWorld, Alpro mais aussi Danone Dairy Belgium…
 

IBA, première société belge cotée en bourse certifiée B-Corp
Cette société utilise la physique des particules pour traiter des maladies. Elle développe des solutions pour la détection et le traitement du cancer grâce à la protonthérapie et utilise de solutions de dosimétrie pour la radiothérapie et la radiologie. Elle a obtenu la certification B-Corp en juin 2021 et est la première entreprise belge cotée en bourse à être certifiée. Comme l’exige le cahier des charges de B Lab, elle a modifié ses statuts pour y intégrer son engagement de prendre en compte les conséquences de ses activités sur l’environnement et la société.

 

Patagonia et son approche globale
Cette entreprise américaine spécialisée dans les vêtements et équipements
« outdoor » a intégré des principes de durabilité dès le départ. Diminuer l’impact de ses produits, rendre possible et faciliter la réparation, reverser une partie des bénéfices à des associations sont parmi les points principaux. Elle est certifiée B-Corp et communique de façon chiffrée sur ses engagements et progrès.


2. Utiliser des guides et outils d’évaluation

Adhérer à un référentiel, faire un rapport RSE… C’est intéressant pour l’entreprise mais ça n’éclaire pas facilement les consommateurs. L’information n’apparaît pas sur les produits et il faut un peu chercher et analyse soi-même les informations partagées par l’entreprise sur son site Internet.

Du coup, quelques outils tiers peuvent apporter des infos intéressantes et permettent de comparer les sociétés :

  • Moralscore donne une note de A à D sur plusieurs critères : environnement, contribution fiscale et sociétale, profits et gouvernance, innovation, rémunérations et conditions de travail, impact des technologies sur l’homme et le travail, équité des relations avec les partenaires, traitement et usage des données personnelles, qualité du produit ou du service et, enfin, compétitivité des prix. Les entreprises obtiennent finalement un score sur 100 (au plus il est élevé au mieux c’est).
     
  • Clear Fashion est une appli qui donne des informations sur l’engagement des entreprises de la mode. Chaque marque est évaluée avec un score sur 100 qui tient compte de l’environnement, du social, de la santé et des animaux.
     
  • Good on you (en anglais) est un autre guide de la mode durable, il donne une cote sur 5 pour les critères planète, social et animaux. L’appréciation globale est donnée sous forme de smiley :

le classement de Good on you

 

3. Préférer des structures plus proches et plus durables

Les entreprises doivent à la fois intégrer les principes de l’économie circulaire, diminuer leur utilisation d’énergie fossile et leurs émissions de CO2,tout en respectant les principes d’égalité des sexes, d’inclusion… un vrai challenge à tous les niveaux.

Soyons honnêtes, ce n’est pas tellement du côté des multinationales qu’on retrouve les entreprises les plus engagées. Il y a dans tous les secteurs de nombreuses petites entreprises dont la raison d’être est centrée sur le développement durable et qui se veulent responsables jusque dans leur ADN. C’est peut-être plus facile pour des jeunes entreprises, qui peuvent intégrer la durabilité dans leur modèle d’affaires dès le départ. Certaines se réclament de l’économie régénérative : elles font mieux que minimiser leurs impacts négatifs, elles visent carrément à avoir un impact positif sur les éco-systèmes.

Par exemple :

  • Le réseau des Ecopreneurs belges, avec sa soixantaine de membres, dont La ruche qui dit oui, aSmartWorld, Fairtrade belgium, Yuman, CO2logic…
     
  • Les entreprises sociales[11], qui sont plus de 2000 en Belgique dans des domaines aussi variés que l’alimentation, la construction, la vente de seconde main, les déménagements, le textile… Elles ont l’intérêt commun comme objectif social, elles réinvestissent la majeure partie des bénéfices dans réalisation de leur objet social (la maximisation du profit n’est pas une fin en soi) et elles ont un mode d’organisation basé sur des principes démocratiques et participatifs.
     
  • Les coopératives (citoyennes) qui gèrent par exemple une éolienne, un supermarché, une banque, un média, une entreprise de livraison à vélo… Voir nos bonnes adresses et 5 raisons d’investir dans un coopérative citoyenne.
     
aSmartWorld, moins de déchets et moins de fracture numérique
Cette entreprise belge est spécialisée dans la récupération et le reconditionnement de smartphones et tablettes. Elle veut également lutter contre la fracture numérique et a inclus dans son modèle d’affaires de reverser 2€ pour chaque téléphone vendu à sa Fondation pour l’Inclusion Digitale, qui s'occupe de distribuer du matériel gratuitement à des publics ciblés.

 

Kazidomi, des produits durables et accessibles
Cette jeune entreprise belge veut rendre les produits durables accessibles à des prix raisonnables. Cela passe par une carte de membre qui donne droit à de grosses réductions. Le catalogue est relativement limité (4000 articles) mais les produits sont soigneusement sélectionnés pour répondre à des critères de durabilité. L'entreprise est certifiée B-Corp.


4. Se méfier du greenwashing

Le greenwashing c’est un message publicitaire qui peut induire en erreur sur la qualité écologique réelle d’un produit ou d’un service ou sur la réalité de la démarche développement durable d’une organisation.[12] Elle peut donc toucher l’entreprise en elle-même. Mais même si elle concerne plutôt un produit, elle doit inciter à la prudence envers l’entreprise responsable du produit greenwashé.

Comment reconnaître un greenwashing ? L’ADEME donne plusieurs pistes[13]:

  • Un vrai mensonge. Heureusement, c’est plutôt rare.
     
  • Une promesse disproportionnée. Certes, il y a un intérêt écologique mais pas aussi important que le message le laisse croire. Par exemple si un produit est présenté comme écologique alors que seul un de ses éléments l’est ou si la démarche de développement durable est présentée comme un élément essentiel de la politique de l’entreprise alors que ce n’est pas le cas.

Faire une carte en plastique recyclé mais investir dans le fossile, les incohérences d'une banque
Cette banque s’est fait remonter les bretelles sur les réseaux sociaux après avoir largement communiqué sur sa carte de banque en plastique recyclé alors qu’elle finance généreusement les énergies fossiles.
 

  • Des mots vagues (« éco », « green power »…) ou une image trompeuse, qui suggèrent des qualités ou une démarche durable qui n’existent pas ou sont en réalité peu importantes.

Des éoliennes dans les images, ça fait durable
Les éoliennes, ça donne une touche écologique à coup sûr !
À gauche, une pub pour un SUV même pas électrique, pourtant « en route pour mieux » avec une éolienne en fond. À droite, sur le site d’Octa+, on est accueilli par une belle photo d’éolienne sauf que cette compagnie fournit majoritairement des énergies fossiles : carburants dans les stations-service et mazout de chauffage. Elle fournit également de l’électricité, dont seulement un tiers est issu de sources renouvelables.[13b] 

 

  • Des informations insuffisantes et l’absence de preuves. Vraisemblablement, il y a une démarche écologique mais on doit croire la marque sur parole. On a beau chercher l’info, impossible d’obtenir des détails auprès de l’entreprise ou sur son site internet. Ou alors elles ne sont pas crédibles.
     
  • Un faux label, souvent un visuel fait maison, peu transparent sur ses critères et non contrôlé par un organisme indépendant.

faux labels, visuels trompeurs
Deux visuels trompeurs, le premier trouvé sur des soupes et le second sur des pâtes. En plus de ne pas être un label officiel, le visuel de gauche fait une association avec la marque, pas uniquement le produit sur lequel il est affiché.
 

  • Un faux avantage. Une plus-value est mise en avant alors que le produit ou l’entreprise ne fait que respecter la loi ou qu’elle anticipe un peu sur une future obligation légale.
     

5. Chercher la transparence et les actions concrètes

56% des consommateurs pensent que les engagements des grandes entreprises ne sont « que des belles paroles et que rien de significatif n’a changé en réalité » et seulement 35% pensent que les entreprises engagées tiennent leurs engagements.[14]

Il est donc très important pour les entreprises de détailler leurs réalisations de façon transparente.

Les compagnies sont assez promptes à communiquer sur leurs actions durables, en particulier les grosses sociétés qui peuvent se permettre d’avoir un département RSE. Un rapport RSE est disponible ? On n’hésite pas à le parcourir avec un esprit critique. Par exemple une équipe qui participe à un ramassage de déchets ou à une action sociale, c’est super comme teambuilding alternatif mais ça ne rend pas l’activité principale de l’entreprise plus durable… De même, une réduction de l’emballage est un bon premier pas mais ce n’est pas représentatif d’une démarche profonde et transversale de l’entreprise.

La qualité de l'information fournie dans le rapport RSE ou sur le site de l'entreprise est assez révélatrice : la transparence et l’info complète sont d’assez bons indicateurs. Par exemple, dans la communication de l’entreprise sur ses actions en matière de durabilité, on peut repérer si :

  • le processus de production est expliqué ;
  • la chaîne d’approvisionnement des matières premières est détaillée ;
  • les chiffres de réduction de consommation d’énergie sont précisés ;
  • etc.

Même si cela tend à diminuer, on se méfie aussi des effets d’annonce. Plutôt que communiquer leur engagement à mettre en place des changements, les entreprises devraient plutôt communiquer sur les résultats une fois ces actions mises en place. Cela donne beaucoup plus confiance et ça permet de vérifier qu’elle tient ses engagements.

On peut aussi jeter un œil à Global Compact. Cette initiative lancée par l’ONU en 2000 est un code de conduite qui comprend 10 principes que les organisations (entreprises, ONG, administrations…) doivent s’engager à respecter. Ces principes concernent les droits de l’homme, le droit du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption. L’organisation doit envoyer une lettre de d’engagement à l’ONU et publier chaque année un document qui indique les progrès accomplis (ce document s’appelle COP, pour «communication on progress »). Tant la lettre d’engagement que les COPs sont publics et accessibles sur le site du Global Compact. Le lien avec les ODD est explicitement prévu dans le formulaire de la COP.

En Belgique on trouve des signataires comme Solvay, , des banques, Visible, Natuurpunt, CLL, Greenfish…
 

6. Fuir les marques qui ont une communication anti-responsable

Un 4x4 qui roule en pleine nature (en dehors des routes autorisées). Un conducteur qui roule sans but pour le plaisir de profiter de la route (et de gaspiller du carburant). Une marque qui met en avant ses voitures électriques en ridiculisant un peu les cyclistes. Un calendrier de l’Avent plein d’échantillons de cosmétiques. Un produit d’entretien désinfectant qui joue sur l’instinct de protection envers ses enfants. Un voyagiste qui incite à « ne pas réfléchir quand le prix est aussi bas ».

Ce type de communication ou de publicité, on en a déjà tous vu ou entendu. Et si on boycottait ces entreprises qui ne voient pas le problème ?
 

7. Rester lucide sur les secteurs les plus polluants

Ryanair déclare avoir la  flotte la plus verte d’Europe, avec ses avions plus récents, et propose à ses clients de compenser les émissions de leur vol. Pour un supplément de 2€, on s’offre une bonne conscience.

Land Rover, spécialiste des SUV de luxe n’hésite pas à se targuer d’être une entreprise responsable.

Voilà deux exemples de pratiques non compatibles avec l’Accord de Paris. Ces entreprises (qui ne sont pas des cas isolés, on pourrait les remplacer par n’importe quelle compagnie aérienne ou constructeur automobile premium) montre les limites d’une démarche de RSE. Elles peuvent essayer de rendre leur fonctionnement plus durable mais le produit au cœur de leur offre est particulièrement impactant sur le climat.

En rêvant un peu on pourrait imaginer que Ryanair ajoute 100€ à ses tickets pour alimenter un fonds climat et développe les trains de nuit. Ou que le constructeur automobile fasse le pari des voitures légères et partagées.

À la COP26, l’un des hommes les plus riches du monde, Jef Bezos, fondateur d’Amazon, est venu faire un discours où il indique que la nature fournit nos aliments, que son voyage dans l’espace lui a fait prendre conscience de la fragilité de la planète et que les actions des Etats et des citoyens ne suffiraient pas, qu’il fallait le soutien du privé pour financer la transition. Il a ainsi promis 2 milliards de dollars pour restaurer les éco-systèmes et transformer les systèmes alimentaires. Ce discours illustre bien l’arrogance d’entreprises qui sont plus puissantes que certains Etats et qui s’érigent en donneurs de leçons. Elles pratiquent une optimisation fiscale qui prive les États de revenus qui pourraient financer des initiatives de transition, des soins de santé… À la place, elles préfèrent le mécénat qui les rendent incontournables et leur permet de choisir leurs priorités.

Par ailleurs, même si Amazon s’équipe de camionnettes électriques et qu’elle investit dans les énergies renouvelables, le modèle d’affaires d’une telle entreprise est incompatible avec un monde soutenable. En poussant sans cesse à la surconsommation, en favorisant la vitesse de livraison (et donc l’avion), elle contribue surtout à une uniformisation des consommateurs et une accélération des impacts négatifs sur l’environnement.
 

8. Questionner la neutralité carbone

Avec la prise de conscience du dérèglement climatique, on a bien compris qu’il fallait diminuer l’empreinte carbone. Objectif : zéro émissions nettes en 2050 dans le monde. Dans ce mouvement, nombre d’entreprises se déclarent neutres en carbone ou se fixent un objectif de neutralité à un horizon de quelques années. Sur Science Based Targets, on peut même voir si les objectifs de l’entreprise sont en ligne avec ce qui est demandé par l’Accord de Paris.

Comment les entreprises arrivent-elles à ce résultat si rapidement ? Grâce à la compensation. Elles paient pour planter des arbres plutôt que de réduire réellement leurs émissions de gaz à effet de serre.

Avec cette technique, pour atteindre le « zéro émission nette » d’ici 2050, il faudrait planter au moins 1,6 milliard d’hectares de forêts, soit l’équivalent de cinq fois la superficie de l’Inde ou plus que la totalité des terres arables de la planète, pointe Oxfam dans un récent rapport.[15] Les programmes « zéro émission nette », gourmands en terres, pourraient ainsi entraîner une hausse de 80 % du prix des denrées alimentaires et une aggravation de la faim dans le monde, tout en permettant aux pays riches et aux entreprises d’entretenir un statu quo néfaste.

L’ADEME confirme dans un avis que la neutralité carbone à l’échelle d’un individu ou d’une entreprise n’a pas de sens car elle rime trop avec absence d’impact, ce qui n’est pas correct.[16]

Oxfam précise encore que si l’ensemble du secteur de l’énergie, dont les émissions continuent de grimper en flèche, se fixait des objectifs « zéro émission nette », alors il lui faudrait une superficie équivalente à un tiers de toutes les terres arables du monde pour faire de la compensation !

compensation carbone vols courts
Un exemple de communication problématique. Parmi plusieurs actions dans sa stratégie bas carbone (renouvellement de la flotte, carburants alternatifs…) Air France compense les émissions des vols intérieurs en France et les déclare « neutres en carbone ». Non seulement une bonne partie de ces vols internes devraient être remplacés par le train mais en plus on ne peut pas parler de vols neutres en carbone, comme si leurs impact étaient effacés. Source du tweet illustré.
 

9. Voir l’image d’ensemble et faire preuve de bon sens

Wouaw, un t-shirt bio à 6€ ! Trop beau pour être vrai ? Il y a des chances… Il y a énormément d’étapes entre la culture du coton et l’arrivée en magasin d’un t-shirt, et chaque étape consomme des matières premières et nécessite de la main d’œuvre. Même avec une excellente optimisation du processus, avec un t-shirt à 6€, il y a forcément des ressources et des personnes qui ne sont payées à leur prix juste. Et quand il y a quelques vêtements bio au milieu de centaines de modèles « classiques », une petite lumière rouge supplémentaire devrait s’allumer. Dans ces conditions, se réjouir d’avoir dégoté un t-shirt bio à 6€, c’est jouer le jeu de la com' verte et accepter de ne voir qu’une partie de l’image d’ensemble.

De même, quand une marque communique sur un seul ingrédient « naturel », la question qui devrait immédiatement se poser est : quel pourcentage du produit représente-t-il ? Et aussi : quels sont les autres ingrédients ?

L’emballage d’un produit est recyclé, recyclable, fait en bioplastique ? Certes c’est intéressant de travailler à réduire les déchets mais on n’achète pas un emballage, on achète un produit. Alors quid du produit ? Quelle démarche fait l’entreprise pour rendre son produit plus respectueux de l’environnement ?

Dans les engagements des entreprises, on va trouver beaucoup de solutions technologiques mais il faudra inévitablement diminuer les gaspillages, s’interroger sur nos besoins réels, pour que les objectifs puissent être atteints. Ainsi rouler seul dans un véhicule de 2500 kg (même électrique), prendre l’avion pour des distances inférieures à 500 km, construire des logements aux surfaces démesurées ne sera jamais compatible avec un développement durable.

Bref, on utilise son bon sens et on essaye toujours de garder une vision d’ensemble. Sans taxer la moindre initiative de greenwashing, on n’hésite pas à questionner les pratiques des entreprises sur un plan plus général.
 

10. Fixer ses propres critères

On le voit, c’est un domaine complexe et il est parfois difficile de pointer les bons et les mauvais élèves. Une entreprise qui propose juste une gamme verte, c’est du greenwashing ou c’est un premier pas à encourager ? Une multinationale qui passe au bio c’est un levier énorme mais comme elle est cotée en bourse, elle continue à mettre la pression sur les prix pour satisfaire les actionnaires. Ça passe ou pas ? Acheter le plus possible dans des petites structures engagées c’est super mais ça suppose parfois de revoir toutes ses habitudes d’achat, on est prêt à tout chambouler ou pas ?

Decathlon, entre deux mondes ?
L’entreprise a défini un plan de transformation qui intègre les ODD. Elle a des objectifs chiffrés concernant l'ecodesign progressif de ses produits, l'alimentation des magasins en énergies renouvelables, la réparation... La société a notamment lancé le projet circular bike : elle rachète les vélos (paiement en bons d’achat), les répare et les remet en vente. Cela rend un service aux consommateurs : pour les uns c’est avoir la possibilité de revendre facilement son vélo et, pour les autres, celle d’acheter un vélo de seconde main révisé, avec le savoir-faire de Decathlon.
Mais Decathlon reste une multinationale qui fabrique des produits partout dans le monde et propose des articles de différents niveaux de prix, dont certains sont particulièrement agressifs (un polar à 8€, ça laisse songeur sur les conditions de fabrication). L’objectif de rendre le sport accessible au plus grand nombre est louable en soi, la question qui se pose est : au détriment de qui ces économies sont-elles rendues possibles ?

Alors, Decathlon passe le cap des critères personnels ou pas ?

Bref, ce sont des choix personnels. Et c’est à chacun de les faire en fonction de ses critères et valeurs. Mais en connaissance de cause et non guidé par une communication parfois plus verte que les actions réelles.

On l’aura compris, derrière la communication il faut de véritables efforts de transformation de l’entreprise pour que ses activités soient les moins nocives possibles. Ce n’est pas évident, la compétition entre entreprises peut être féroce et si l’une décide de produire moins ou autrement, elle peut se laisser distancer par la concurrence. La compétitivité, la préservation de l’emploi, la maximisation des profits sont autant d’éléments qui compliquent l’action des entreprises, surtout des plus grandes.

Il est toutefois encourageant d’entendre un chef d’entreprise tel que Jacques Crahay, ancien président de l’Union wallonne des entreprises, déclarer : « il faut changer notre modèle économique pour respecter nos objectifs climatiques » ou encore « il faut élargir sa façon de penser, au-delà de ‘je gagne de l’argent, c’est bien’ ».[17]

 

[1] Le secteur privé est notamment indispensable pour financer la transition. À la COP26, la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, qui regroupe des banquiers, des investisseurs et des assureurs, a annoncé aligner 130 000 milliards d’investissements sur l’Accord de Paris. Voir sur le site de l’ONU : « Pas de blabla », l’ONU présente l'engagement du secteur privé en matière de financement climatique

[2] À la question « selon vous, à qui incombe en priorité la responsabilité d’agir afin de résoudre les problèmes

environnementaux, sociaux et sociétaux de notre époque ? », 44% répondent en premier ou deuxième lieu « les entreprises », contre 64% pour « l’État », Baromètre de l’engagement des entreprises, réalisé par L’ObSoCo et Trusteam Finance, 2021, France.

[3] Enquête réalisée en France en 2021,  Baromètre de l’engagement des entreprises, réalisé par L’ObSoCo et Trusteam Finance. Le EY Future Consumer Index indique même 41% d'entre eux ont cessé d'acheter ou achètent moins auprès de marques qui ne semblent pas agir suffisamment en faveur de l'environnement (avec une proportion beaucoup plus forte chez les jeune que chez les plus âgés), cité par ecommercemag.fr.

[4] Des réglementations spécifiques encadrent de manière plus ou moins sévère les aspects environnementaux, par des taxes, des aides ou encore des limites et des interdictions.

[5] On parle également de RSO (responsabilité sociétale des organisations) car il n’y a pas que le secteur privé qui doit gérer ses impacts sur la société.

[6] Voir en détails sur le site de l’ONU.  

[7] Ou SDGs – Sustainable Development Goals – en anglais.

[8] D’après le CSR Monitor 2019 (CSR pour corporate social responsibility est le terme anglais pour la RSE)

[9] Voir sur sdgs.be

[9b] Voir détails sur Reporterre : Total se veut écolo… en misant sur les énergies fossiles

[10] Plateforme RSE, en France, constate une prolifération de labels RSE et autres initiatives dans « Propositions pour des labels RSE sectoriels destinés aux TPE, PME et ETI »

[11] Elles sont d’ailleurs reprises dans le Plan fédéral de développement durable, octobre 2021.

[15] Rapport « Pas si net », Oxfam, août 2021. Voir le communiqué de presse.

[16] Voir l'avis de l'ADEME.

[17] Podcast sur lapremiere.be : Industrie et écologie incompatibles ?

 

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