Les perturbateurs endocriniens : un danger pour la santé et l'environnement. Pourquoi ? Comment fonctionnent-ils ? Quels sont leurs effets ? Explications.
Des petits messagers chimiques perturbent l’action de nos hormones, pourtant indispensables à l’équilibre du corps. Ce sont les perturbateurs endocriniens.
Il est impossible d’y échapper car ils nous accompagnent partout, tout au long de la vie. On peut tout de même les limiter autant que possible.
> Voir : Comment éviter les perturbateurs endocriniens ?
Mais que sont-ils exactement ? Comment agissent-ils ? Pourquoi leurs effets sur la santé sont-ils mal connus ? Quel impact ont-ils sur l’environnement ? Définition et explications.
Sommaire :
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Les hormones sont indispensables. Elles coordonnent le développement et les fonctions de tous les organes du corps pour assurer entre autres le bon fonctionnement du métabolisme et des systèmes immunitaire et reproducteur. Elles sont aussi essentielles pour assurer la croissance et le développement.
Ces substances appartiennent au système endocrinien. Il est composé de nombreuses glandes (hypophyse, thyroïde, ovaires, testicules, glandes surrénales…) qui sécrètent une cinquantaine d’hormones : les œstrogènes pour le cycle féminin et la croissance, la testostérone pour les caractères masculins, l’ADH pour la rétention d’eau, l’ocytocine lors de l’accouchement, la progestérone pour l’utérus, la mélatonine pour le sommeil, l’aldostérone pour la pression artérielle, l’insuline pour la glycémie…[1]
Source : INRS
En fonction des besoins du corps, ces petits messagers chimiques sont déversés dans le sang pour informer et adapter l’activité de nos cellules et organes.
Notre corps est donc soumis à un mélange d’hormones en permanence. Et il sait décrypter ces messages qu’il produit lui-même pour assurer son équilibre.
Il y a un hic : plusieurs centaines de substances chimiques présentes dans notre environnement sont suspectées d’interférer avec la mécanique naturelle des hormones et d’avoir des effets nocifs sur la santé. Ce sont les perturbateurs endocriniens. Un peu comme des interférences radio qui viennent perturber la transmission d’un message. Notre organisme reçoit donc de mauvaises informations sans détecter qu’elles proviennent d’une source extérieure et il déclenche des réponses en fonction de ce message.
Pour comprendre le phénomène, il faut se placer à l’échelle d’une cellule. Naturellement et quand cela est nécessaire, des hormones sont produites puis voyagent dans le sang jusqu’à atteindre les cellules qui possèdent des récepteurs compatibles.[2] Elles sont capables de décrypter l’information puis d’agir en conséquence.
Les perturbateurs endocriniens interfèrent sur ces cellules de différentes façons. Ils peuvent :
On comprend pourquoi les perturbateurs endocriniens représentent un danger, en particulier à des moments-clés comme le développement du fœtus ou du jeune enfant, où les hormones jouent un rôle crucial.
L’OMS[3] donne une définition des perturbateurs endocriniens qui est largement reconnue : « Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange exogène qui modifie la (les) fonction(s) du système endocrinien et provoque, par conséquent, des effets néfastes sur un organisme intact, ses descendants ou des (sous-)populations ».[4]
Les critères pour identifier une substance comme un perturbateur endocrinien sont parfois précisés. C’est par exemple le cas pour les biocides et les produits phytopharmaceutique depuis 2018.
Mais les perturbateurs endocriniens sont des substances très particulières. Elles n’obéissent pas aux lois classiques que les scientifiques utilisent généralement. Et en deviennent un casse-tête tant pour les reconnaître que pour s’en protéger.
Les perturbateurs endocriniens sont omniprésents. Ces substances se trouvent dans l’environnement mais aussi dans la nourriture, les cosmétiques, les vêtements, les jouets et beaucoup d’autres objets et produits que l’on côtoie tous les jours. On considère qu’en moyenne « chaque enfant né dans nos régions a été exposé à plus de cent perturbateurs endocriniens ».[5]
> Voir notre liste des principaux perturbateurs endocriniens et dans quels produits on les trouve.
Comme on ne peut ni les sentir, ni les voir, ni les goûter, ils pénètrent dans notre corps à notre insu quand on les respire, les ingère, les absorbe par la peau… On peut en éviter certains, mais s’en prémunir totalement est irréaliste.
> Voir nos conseils pour éviter les perturbateurs endocriniens.
Dans les tests standards, chaque substance chimique est testée pour déterminer un seuil en-dessous duquel le produit n’est pas toxique et au-delà duquel on observe des effets indésirables. C’est « la dose qui fait le poison ». La DJA (dose journalière admissible) est calculée sur ce principe[6] et permet de fixer dans la législation les quantités autorisées pour certaines substances.
Mais cette méthode se base sur le principe que c’est uniquement la dose qui rend un composé toxique. Ce qui n’est pas du tout le cas des perturbateurs endocriniens. C’est une de leurs particularités : les effets qu’ils provoquent selon la dose sont totalement atypiques. Parfois les très faibles dosent peuvent être les plus nocives, et inversement. Les effets varient aussi selon l’organe testé. On parle de « dose réponse non-monotone ».
Certains perturbateurs endocriniens s’éliminent difficilement et peuvent alors s’accumuler sur le long terme dans le corps. Ils se logent dans les tissus graisseux comme les seins, la prostate, les ovaires ou le cerveau.
Cela implique que les expérimentations doivent durer assez longtemps pour tenir compte des effets de cette accumulation. Les chaînes alimentaires sont aussi touchées puisque les organismes prédateurs vont accumuler les substances stockées dans leurs proies. Certains médecins estiment aussi que perdre du poids rapidement est alors dangereux, puisque les perturbateurs endocriniens stockés dans les graisses sont libérés vite et à forte dose dans le corps.
Au quotidien, les nombreux composés chimiques auxquels on est exposé peuvent interagir ensemble. C’est ce qu’on appelle « l’effet cocktail ». Et un mélange de perturbateurs endocriniens peut avoir des conséquences totalement différentes des substances prises séparément.
Bien sûr, dans ce cocktail les effets de chaque composé peuvent simplement s’additionner (1+1=2). Mais le résultat peut aussi être imprévu : l’interaction de différents perturbateurs peut multiplier leurs effets (synergisme : 1+1=3) ou les neutraliser (antagonisme : 1+1=0). Une substance seule peut aussi n’avoir aucun impact, mais en produire dès qu’elle se trouve en présence d’autres produits chimiques (potentialisation : 0+1=3).
Si la plupart des tests évaluent encore les risques de chaque substance séparément, certains projets étudient les effets des expositions combinées aux perturbateurs endocriniens. C’est le cas de l’EDC-MixRisk soutenu par l’Union européenne dont les conclusions indiquent que les risques pour la santé liés aux expositions combinées de perturbateurs endocriniens sont systématiquement sous-estimés. De nouvelles approches sont développées pour y remédier dans le futur. Mais l’effet cocktail reste très difficile à étudier.
Quand le corps est en développement ou se transforme, il est plus vulnérable aux perturbateurs endocriniens. C’est le cas pendant la grossesse, l’enfance, l’adolescence…
Le bébé en devenir n’est pas à l’abri puisque le placenta ne filtre pas ces composés qui sont alors transmis de la mère à l’enfant.
Les hormones jouent des rôles cruciaux dans les périodes de développement des organes, des systèmes nerveux, reproducteur, immunitaire... Et perturber leur action peut avoir des conséquences à court et long termes : par exemple l’apparition de maladies chroniques quand on est adulte.
Être en contact avec des perturbateurs endocriniens à certaines périodes sensibles est donc particulièrement nocif. On appelle cela « l’effet fenêtre », les « fenêtres d’exposition » ou les « fenêtres de vulnérabilité ».
Les perturbateurs endocriniens peuvent aussi influencer les générations suivantes via des effets dits « épigénétiques ». Par exemple, l’hormone de synthèse DES a des effets sur 3 générations. Les « petits-enfants DES » présentent notamment un taux élevé de malformation génitale masculine.[7] Les effets du DES continuent ou apparaissent donc après l’arrêt de l’exposition.
Les conséquences des perturbateurs endocriniens sont nombreuses et variées.
> Voir la liste des principaux perturbateurs endocriniens et de leurs effets.
Les perturbateurs endocriniens sont de plus en plus étudiés car on observe une augmentation des troubles et maladies liés au système endocrinien. Et les preuves s’accumulent au fil des années pour mettre en lumière un véritable enjeu de santé publique.
Un même perturbateur endocrinien pourrait induire différents troubles. Par exemple, le DEHP, un phtalate, contribuerait à des modifications de la thyroïde, à une baisse du QI et impacterait les testicules. Les PFOAs, des composés perfluorés, seraient liés à des troubles de la croissance et de la thyroïde mais aussi aux cancers des testicules et du foie.
Les effets sur la santé sont donc multiples. Les perturbateurs contribuent (ou sont suspectés de contribuer) :
Certains problèmes de santé chroniques rencontrés ou suspectés peuvent évidemment être multifactoriels mais leurs liens avec certains perturbateurs endocriniens sont prouvés par des études épidémiologiques et sur les animaux. Pour d’autres, les études sont encore à développer. Mais la mise en évidence des effets des perturbateurs est difficile : les suivis doivent durer longtemps, sont complexes et couteux.
Interview de Corinne Charlier, cheffe du service de toxicologie clinique, médico-légale, de l'environnement et en entreprise (CHU-Ulg). Source : La libre inspire, numéro 43
Il est bien connu que certains perturbateurs endocriniens s’accumulent et persistent dans l’environnement. Cela impacte la croissance, le fonctionnement hormonal et la reproduction de différentes espèces d’insectes, mollusques, poissons, oiseaux, mammifères… Par exemple, le TBT contenu dans les peintures pour bateaux masculinisait les escargots aquatiques femelles, menant parfois à la disparition de certaines populations.
Les perturbateurs sont aussi transportés sur de longues distances à travers le monde, via les phénomènes naturels ou l’activité humaine. De nombreux écosystèmes sont donc concernés.
C’est par ailleurs grâce aux constats fait dans l’environnement que l’existence des perturbateurs endocriniens a été révélée : en 1962, la biologiste Rachel Carson constate et dénonce que le DDT, un pesticide, perturbe la faune et le système reproducteur des oiseaux, notamment en fragilisant les coquilles des oeufs.
Interdire certains composés a déjà permis de limiter l’exposition de la faune et finalement de la reconstituer. Par exemple, lorsque l’exposition au pesticide DDT a été limité, les populations d’oiseaux et mollusques ont réaugmenté.
Mais les liens entre les perturbateurs endocriniens et les effets sur l’environnement, comme le déclin de certaines populations animales, ne sont pas faciles à établir. En plus des particularités de ces composés qui les rendent difficiles à étudier, de nombreux autres facteurs entrent en jeu. Établir une relation de cause à effet est un véritable défi.
Le coût économique lié aux perturbateurs endocriniens donne le tournis. Selon les experts, l’Europe serait concernée à hauteur d’environ 157 milliards d’euros par an, soit 1,23 % du PIB de l’Union européenne.[9]
Ce montant est lié en particulier à l’impact des perturbateurs endocriniens sur les capacités cognitives (dont le quotient intellectuel) et les troubles neuro-développementaux.
On pointe des conséquences qui vont d’une baisse d’inventivité pour la société aux aides à la procréation, en passant par les soins et l’assistance dont ont besoin les personnes malades ou en situation de handicap suite à des troubles liés aux perturbateurs endocriniens.[10]
Vu l’ampleur du problème, les coûts pourraient vite s’envoler. De quoi motiver à mettre en place une législation sévère.
> Lire aussi : Quelle législation pour les perturbateurs endocriniens ?
[1] Les rôles de chaque hormone sont multiples et ne sauraient se résumer en une phrase. Par exemple, « les œstrogènes agissent sur le système uro-génital, la glande mammaire, le squelette, la peau et les muqueuses, le système cardiovasculaire, le cerveau, le système digestif. » (Source : CHU de Toulouse)
[2] En fonction des classes d’hormones : les protéines et les peptides sont hydrosolubles et nécessitent la présence de récepteurs dans les membranes cellulaires, tandis que les stéroïdes sont capables de traverser la membrane et agissent sur des récepteurs à l’intérieur des cellules cibles.
[3] La 1ere définition des perturbateurs endocriniens date de 1991, lors de la conférence de Wingspread réunissant des chercheurs de différentes disciplines.
[4] Organisation mondiale de la santé, Perturbateurs endocriniens – Résumé pour les décideurs, 2012
[5] J.-P. Bourguignon, An introduction to endocrine disrupting chemicals (EDCs) effects on health.
[6] En appliquant des coefficients de réduction par principe de précaution. De sorte que le seuil autorisé soit inférieur au seuil pour lequel des effets indésirables apparaissent.
[7] Réseau DES France, 2017. Etude Distilbène 3 générations. Tournaire M, Epelboin S, Devouche E et coll. Adverse health effects in children of women exposed in utero to diethylstilbestrol (DES). Therapie. 2016;71:395-404. Czarlewski W. Letter to the editor concerning the adverse health effects in childrenexposed in utero to diethylstilbestrol Therapie. 2017 Jul 18. Tournaire M, Devouche E, Epelboin S. Answer to UCB letter to the editor concerning "Adverse health effects in children of women exposed in utero to diethylstilbestrol (DES)". Therapie. 2017 Jul 18.
[9] Chiffre estimé par dix-huit chercheurs européens et américains dans la revue The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism (JCEM), moyenne de l’estimation oscillant entre 3,3 et 244 milliards d’euros annuels. Mais les chercheurs estiment qu’il y a 75 % de chance que le coût soit supérieur à 96,1 milliards d’euros.
[10] Voir le Journal du CNRS.