Habituellement, dans cette rubrique, on brocarde gentiment divers objets que l’on considère comme n’étant pas vraiment les meilleurs choix environnementaux du monde[1]. Ce sont souvent des gadgets[2]. Mais ici on va prendre un peu de recul et s’intéresser à des objets jetables… réutilisables.

Ça paraît antinomique ? Et ça l’est. Si c’est jetable ce n’est, par définition, par réutilisable. C’est vrai quoi, qui a envie de réutiliser un test Covid, hein, franchement.

Mais ça veut dire quoi, « jetable » ? Que l’on jette, bien entendu. Oui mais pourquoi le jette-t-on ? Parce qu’on n’en a plus besoin. Oui mais aurait-on pu le garder ? Si on exclut la possibilité de faire un musée de la paille jetable (alors que, moi je dis, c’est un concept), ne pourrait-on pas, par exemple, laver l’objet que l’on souhaite jeter pour le réutiliser ?

En effet, qu’est-ce qui interdit de laver une paille jetable pour la réutiliser ? Rien. Et je suis sûr que plusieurs d’entre vous l’on déjà fait.

Et c’est là que se trouve tout l’enjeu quand on parle de limiter les objets jetables.

L’Europe a d’ailleurs légiféré récemment avec sa célèbre directive « single use plastic ».

Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas lue[3], rappelons que c’est cette fameuse directive qui interdit différents objets en plastique comme les pailles, les couverts, les assiettes… La Belgique a d’ailleurs élargi ces interdictions en y englobant les gobelets en plastique à usage unique.

Mais comment définit-on « plastique à usage unique » ? Essayez chez vous, vous verrez que ce n’est pas si facile. Du moins si on veut une définition solide et comprise de la même façon par tout le monde.

Première partie : le plastique. C’est le plus dur à définir. Pour l’Europe c’est « un matériau constitué d’un polymère tel que défini à l’article 3, point 5), du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil (3), auquel des additifs ou d’autres substances peuvent avoir été ajoutés, et qui peut jouer le rôle de composant structurel principal de produits finaux, à l’exception des polymères naturels qui n’ont pas été chimiquement modifiés ».

Ça c’est pour le plastique.

Et à usage unique ? Un « objet en plastique à usage unique » est « un produit fabriqué entièrement ou partiellement à partir de plastique et qui n’est pas conçu, créé ou mis sur le marché pour accomplir, pendant sa durée de vie, plusieurs trajets ou rotations en étant retourné à un producteur pour être rempli à nouveau ou réutilisé pour un usage identique à celui pour lequel il a été conçu ».

Fichtre[4] !

Bien entendu, tous les mots ont leur importance. Mais c’est tellement interprétable qu’il y carrément un document spécial[5] de 44 pages dont plusieurs sont consacrées à déterminer ce qu’on entend par « polymère », « à usage unique », « chimiquement modifié » etc. Pour le côté réutilisable, on explore notamment le fait que « l’emballage peut être vidé/déchargé sans dommage significatif et sans risque pour l’intégrité du produit, la santé et la sécurité »

Sisi, je vous vois déjà demander à votre frituriste adoré si le sac qu’il vous tend peut être vidé/déchargé sans dommage significatif et sans risque pour l’intégrité du produit, la santé et la sécurité. Vous me direz si ça a marché.

Et est-ce que tout ça nous aide ?

Pas vraiment, en fait. Car depuis cette législation on a plusieurs exemples de produits qui, avant, étaient vendus comme à usage unique… et qui sont subitement devenus « réutilisables ».

Prenons ce magnifique exemple :

Étiquettes de deux paquets de 24 verres en plastique vendu en supermarché en Belgique (photos écoconso). À gauche, l’ancienne étiquette, à droite, la nouvelle.

Ce sont exactement les mêmes verres, le même code-barres, le même poids total de l’ensemble pour les 24 verres[6]. Mais depuis la nouvelle directive ils sont considérés autrement : réutilisables et non plus jetables. Du coup ça passe crème. En vrai, sont-ils réutilisables ? Oui, si on les lave. Ils sont cependant plus fins et globalement moins solides que les gobelets réutilisables que l’on reçoit en festival.

Autre exemple intéressant :

Dépliant publicitaire de mai 2023.

Les pailles en plastique à usage unique sont interdites en Europe depuis un moment. A priori, celles-ci sont donc réutilisables (on peut même les acheter avec des Eco-chèques). Mais pourquoi alors les vendre par paquet de 50 si c’est pour les réutiliser ? Parce qu’on est chef·fe scout et qu’on a besoin de 50 pailles réutilisables d’un coup ? Ou bien parce que à 2,79€ les 50 on se dit que ça ne vaudra pas la peine de les réutiliser ?

Encore un exemple avec ce sac en plastique très fin, comme on en recevait avant à la caisse :

 

Les fautes d’orthographe ne sont pas les seules erreurs : bien qu’on puisse penser que le sac est destiné au marché belge (le côté bilingue), la loi dont il est question est une loi française (la 2015-992). Et en droit belge les sacs fins (comme celui sur la photo) ne sont d’office pas considérés comme réutilisables (trop fin).

Mais si cet exemple est un peu gros, ce qui ne l’est pas c’est que l’on peut tout-à-fait recevoir, quand on fait ses achats, un sac en plastique « réutilisable » car d’une épaisseur suffisante pour qu’il soit considéré comme réutilisable.

Là, pour le coup, la législation ne s’est pas arrêtée à l’utilisation qui sera faite du produit pour en déterminer le côté réutilisable. Elle a aussi imposé des critères techniques vérifiables et non interprétables : l’épaisseur du sac. Au-delà d’une certaine épaisseur, les sacs sont de facto considérés comme réutilisables[7].

Mais ça ne change rien à l’affaire : et si on ne les réutilise pas ?

C’est évidemment totalement contre-productif. Distribuer des sacs réutilisables (qu’on ne réutilise pas) coûte plus cher au commerçant et a plus d’impact sur l’environnement que des sacs fins, jetables.

C’est pour ça que la Wallonie – qui avait prévu que des petits malins s’arrêteraient à l’épaisseur – prévoit dans la loi que « Le commerçant doit prendre les dispositions organisationnelles, techniques et/ou financières nécessaires pour permettre et assurer la réutilisation du sac. Il ne suffit pas qu’il offre ou vende le sac lors des achats. Il doit veiller et prendre les dispositions (donner à ses clients des points bonus de fidélité s’ils reviennent avec leur sac lors d’un prochain achat, fixer un prix de vente du sac pour que le client ne s’en sépare pas une fois son achat effectué, etc.) pour que ses clients soient encouragés à revenir et à réutiliser le sac réutilisable qu’il aura fourni ou vendu. À défaut, le sac ne constitue pas un sac réutilisable. »

Pas sûr que ce soit vérifié, mais au moins la disposition existe.

Aussi imparfaites que ces législations peuvent être, on voit que sur le terrain de plus en plus d’objets jetables sont remplacés, ou en passe de l’être, par des objets réutilisables.

Ça montre aussi, si c’était nécessaire, qu’il ne suffit pas de légiférer. Il faut encore que les consommateurs·rices et entreprises jouent le jeu. Et inversement.

 

[1] Oui, je participe au concours du plus bel euphémisme de l’année.

[2] Teaser : bientôt on reviendra dans le monde merveilleux et enchanté des trucs pour toilettes. Enfin du pipicaca !

[3] Alors que bon, c’est au moins aussi long et passionnant que les Sept Sœurs.

[4] Tentative de remettre ce petit mot à la mode.

[5] Communication de la Commission (2021/C 216/01).

 C216/1.
[6] 415g pour les « réutilisables » et 434 pour les jetables. À ce stade on ne s’explique pas les 20g de différence, parce que ce sont vraiment, mais alors vraiment, les mêmes verres.

[7] Il faut 50µm d’épaisseur en Europe pour être considéré comme réutilisable, ce qui n’est pas le cas des sacs que l’on recevait à la caisse d’un supermarché. En Wallonie c’est 60µm.

Dernière mise à jour
15 février 2024
Mots-clés

Nos projets en cours