Baisse du lectorat, disparition progressive des librairies en faveur du géant de la vente en ligne (et de ses pratiques peu recommandables), succès grandissant des ebooks, attention croissante pour l’impact environnemental de la production… Le livre est confronté à de nombreux défis. Quel est le rôle des professionnels et quels choix le consommateur peut-il poser ?

Livre imprimé et environnement

Une histoire d’encre et de papier, mais pas seulement…

La fabrication de la pâte à papier est grande consommatrice d’eau et d’énergie. Les nombreuses substances chimiques utilisées (blanchissants, colorants et autres adjuvants) sont responsables d’émissions polluantes dans l’air et l’eau. Selon l’analyse de cycle de vie d’un livre, réalisée en 2022 par l'ADEME (2), plus de 70% des impacts environnementaux sont liés à la production (production du papier, impression et assemblage du livre).

Heureusement, ces impacts peuvent être partiellement atténués grâce à l’utilisation de fibres de cellulose issues de forêts certifiées ou, mieux, issues de papiers recyclés. En Europe, le papier recyclé est de plus en plus utilisé pour l’édition. Une bonne chose puisque la production de papier recyclé consomme deux à quatre fois moins d’énergie et cinq fois moins d’eau que son homologue à base de fibres vierges. On réalise aussi une belle économie de matières premières : 1,2 tonnes de vieux papier produisent 1 tonne de papier recyclé.

Lors de l’impression, on évalue à 10% la gâche de papier mais, avant tout, cette étape fait intervenir de nombreux composés chimiques et génère une importante quantité de déchets souvent dangereux. Les encres sont des mélanges complexes pouvant contenir jusqu’à une vingtaine de composants chimiques. Bonne nouvelle, les encres à base végétale sont largement utilisées et offrent de nombreux avantages : plus facilement biodégradables, fabriquées en partie à partir de matières premières renouvelables et moins de risques à l'utilisation.

Un livre n’est pas l’autre

Littérature générale, poche, livres jeunesse, beaux livres, guides de voyage… Autant d’impacts différents que de types d’ouvrages. Alors que les éditeurs multiplient les politiques d'impression sur papier recyclé, de réduction de gaspillage (papier moins blanc, plus fin, et moins de pages), la question est plus délicate pour la littérature illustrée à destination des plus jeunes lecteurs, les beaux livres ou la bande dessinée. Très colorés, pages épaisses, finitions spéciales, ces ouvrages affichent souvent un impact écologique assez mauvais.

Diffusion et distribution : le scandale du pilon

Les pratiques de commercialisation sont aussi la source d’un important gaspillage. Pour attirer le public, il faut proposer sans cesse des nouveautés et les rendre très visibles. « Il ne s'agit pas de tout vendre. Il s'agit de vendre assez, le plus possible, dans le plus court laps de temps » avant que d’autres nouveautés viennent les remplacer. On imprime donc beaucoup trop de livres, afin de remplir les têtes de gondole et faire de grandes piles dans les librairies.  À l’exception des best-sellers, leur durée de vie excède rarement trois mois. Les coûts de stockage des invendus, sans compter leur transport et manutention, sont tellement élevés qu’il est plus avantageux de les détruire. C’est ce qu’on appelle le pilon : une destruction industrialisée des livres, alimentant en matière première les entreprises de recyclage qui en referont du papier, des emballages...

Cette destruction est hautement symbolique pour certains. Soyons cependant rassurés sur le fait que les œuvres survivent. Ce qui est réellement détruit chaque année ce sont des tonnes de papier, ainsi que les autres ressources nécessaires à la fabrication des livres. En France, 25000 tonnes de livres sont ainsi envoyés au pilon chaque année !  (3)

Il était une fois des labels...

À ce jour, il n’existe aucun label concernant l’édition papier des livres ou des revues. Néanmoins, certains labels et initiatives privées font évoluer le secteur dans le bon sens.

Imprim’Vert   

Cette marque professionnelle française, lancée fin des années 90, ne constitue pas un “vrai” label dans le sens où il s’agit d’une initiative privée, non reconnue par les autorités. Cela n’enlève rien à l'intérêt de la démarche qui impose à ses signataires le respect de 5 critères : gestion rigoureuse des déchets dangereux, sécurisation des stockages de liquides dangereux, non-utilisation de produits étiquetés ''toxiques'', suivi énergétique du site et sensibilisation du public. Certaines entreprises labellisées vont plus loin en proposant à leur client des encres végétales et des papiers plus durables.

Labels jouets en bois FSC et PEFC

Labels FSC et PEFC
Ces labels portent uniquement sur la gestion de la forêt et l’origine durable des fibres de bois. Ils n’apportent aucune garantie sur les modes de production du papier ou le caractère écologique des encres utilisées. Actuellement, la demande en papier certifié est supérieure à l’offre. Seule 9% de la superficie forestière mondiale est certifiée. 

La Charte des éditeurs écolo-compatibles  
Cette initiative privée française regroupe une dizaine de petits éditeurs. Ceux-ci s’engagent à imprimer au moins 80 % de leur production éditoriale sur du papier recyclé ou certifié, à imprimer à moins de 800 km de leur principal lieu de stockage, à valoriser plutôt que pilonner les ouvrages en fin de vie et à partager leurs expériences de bonnes pratiques environnementales.

 

Le livre numérique, pas si immatériel que ça!

Les promesses de l’e-book? Des milliers de livres peuvent être stockés et lus sur une petite tablette de lecture. Il est possible de rechercher dans le texte et d’agrandir la taille des caractères pour une meilleure lisibilité. Autre avantage : il consomme très peu d'énergie. Vu comme cela, l'utilisation de l'e-book par un gros lecteur permet des économies de papier considérables. Une aubaine pour l'environnement? Vu de plus près, on est loin du conte de fée…

  • La fabrication des supports de lecture (liseuse, tablette, etc.) nécessite l’extraction et la transformation de matières premières : de l’eau, quelques métaux lourds et des minerais précieux (coltan, lithium...) dont l’extraction pose de graves soucis environnementaux et sociaux (4)
  • Consommation d’énergie à l’utilisation : les serveurs de stockage sont très gourmands en énergie. C’est aussi le cas des solutions de “cloud computing” (fichier stocké en ligne, lisible depuis n’importe quel appareil). La consommation à l’utilisation de l’e-book est variable selon les technologies. Les écrans E Ink, ne nécessitent pas de rétroéclairage et ne consomment du courant qu’aux changements de pages (exemple : Kindle ou Kobo). Certaines liseuses ont cependant un éclairage intégré qui permet de se passer d’une source de lumière externe, cette option consomme évidemment du courant. Les écrans LCD ont besoin d’un rétroéclairage (par LED) pour être lisibles et consomment donc constamment du courant (exemple : iPad ou Kindle Fire).
  • Durée de vie limitée : il y a d’une part la question de l’obsolescence programmée du support de lecture et celle de la pérennité des formats numériques. Même si la majorité des liseuses utilisent des formats ouverts et interopérables (faculté pour plusieurs systèmes de pouvoir communiquer entre eux) (ex : ePUB ou PDF), la fiabilité des stockages et l’évolution rapide des formats (apparition des formats propriétaires liés à une marque ou un logiciel) posent de réels problèmes de conservation physique des fichiers.

Alors, papier ou numérique ?

Selon l'ADEME (2), un livre de 300 page de 15x21 cm papier présente un bilan carbone 0,9kg en équivalent CO2 pour l’ensemble de son cycle de vie. C'est 50 fois moins que celui d'une liseuse électronique (45 kg éq CO2).

Dans le cas où on achète un livre, on le lit et on le jette, il faudrait lire 50 livres sur la liseuse électronique pour avoir le même impact carbone que les livres papier.

Mais dans la vraie vie personne ne fait cela, on lit un livre, on le range, on le relit plus tard, on le prête, on le vend, on le donne dans une boîte à livres .... Et lorsque l'on prend en compte ces réutilisations, il faut monter à 100 livres sur la liseuse électronique pour avoir le même impact que des livres utilisés deux fois ou 250 livres électroniques pour des livres utilisés cinq fois.

Un autre indicateur important pour les produits électronique est l'épuisement des ressources minérales et métalliques. Et là l'écart est encore plus grand entre livre papier et e-book !

Dans ce cas, il faudrait lire 200 livres sur la liseuse électronique pour avoir le même impact carbone que des livres papier lus une seule fois, 450 livres électroniques avoir le même impact que des livres utilisés deux fois. Et face à des livres utilisés cinq fois la liseuse électronique est toujours plus impactante sur cet indicateur.

Mais d’autres critères entrent en jeu comme le confort de lecture, de travail intellectuel, de transport. Le texte sur papier est plus facile à comprendre, mémoriser et expliquer. Le numérique, lui, peut être enrichi par des contenus multimédia (vidéo, son, liens hypertextes…), annoté, indexé. La durée de vie d’un livre se compte en décennies et il est rare de remplacer une ancienne version d’un ouvrage. De plus, le rapport aux livres et souvent émotionnel : plaisir physique de toucher un livre, respirer l’odeur du papier et des encres, rechercher des livres anciens, des premières éditions, des dédicaces…

 

Quelles options pour le lecteur ?

 

En tant que lecteur, on cherche plutôt un titre, un auteur, un genre. Il paraît difficilement imaginable de choisir « un livre dont la production est plus écologique ». Si le secteur a du retard, il a cependant commencé à évoluer vers plus de durabilité ces dernières années. Quant à la difficile question du pilon, certains évoquent une évolution possible vers l’impression « à la demande », rendue plus accessible par les évolutions de l’imprimerie et des chaînes de production. Cependant, cela ne résoudra pas le problème, qui résulte plus d’une logique de marketing que d’un enjeu technique.

Sur l’aspect social néanmoins, il est important de se rendre compte que la vente en ligne a des impacts sur l’emploi et les conditions de travail. Les usages évoluent… mais les différents acteurs peuvent co-exister. On pourra ainsi acheter en ligne (de préférence auprès d’une petite boutique ou de l’éditeur) un ouvrage précis ou difficile à trouver mais continuer à passer la porte de sa librairie pour la soutenir… et certainement faire de belles découvertes ! Des libraires créatifs se donnent beaucoup de mal pour donner une plus-value à leur commerce tout en offrant de chouettes expériences littéraires au public : apéros-livres, lectures par l’auteur, conférences, soirées thématiques, formules d’abonnement… Comme le signale Jean-Marie Pierlot, maître de conférence invité à l’École de communication de l’UCL : « Il ne s’agit pas de ‘résister au progrès technologique’ que nous offrent ces nouveaux acteurs économiques, mais de mesurer les conséquences que ce modèle entraîne et de faire les choix du monde dans lequel nous voulons vivre demain ».

On pensera aussi à la seconde main (à l’achat mais aussi pour le don). Pour cela, il y a de nombreux magasins d’économie sociale, des brocantes, des soirées troc… Un livre trouvera aussi une jolie place dans l’une des boîte à livres qui fleurissent en ville, à savoir une armoire placée dans un lieu public où on peut déposer ce dont on n'a plus besoin et prendre ce que l'on désire.

Une autre façon de « libérer » un livre est le bookcrossing : on l’enregistre sur www.bookcrossing.com en laissant un petit commentaire sur ce qu’on en a pensé puis on le dépose dans un endroit public afin que quelqu’un d’autre le découvre. À son tour, cette personne pourra l’encoder sur le site. Il est ainsi possible de suivre le livre au fil de ses voyages. 

On n’oubliera d’ailleurs pas les bibliothèques, donnant accès à des milliers d’ouvrages pour presque rien et offrant souvent un intéressant programme d’animations, lectures publiques… Plusieurs d’entre elles proposent aussi la location de livres numériques et/ou de livres en streaming, et parfois même le prêt d’une tablette.

Sur ce, on vous souhaite de bonnes lectures !

Sources et infos complémentaires :

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Dernière mise à jour
14 février 2022
Mots-clés
Rédigé par
Ann Wulf

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