Comment augmenter encore plus la production de plastique ? Il faut inventer des objets inutiles et jetables, pardi ! Comme ce superbe couvre-semelle.
Kevin est un polymère[1]. Nous on dirait un plastique, mais Kevin, lui, il préfère le terme de polymère[2]. Et Kevin il se voyait déjà ballon de baudruche.
S’envoler, c’était son rêve. Faire sourire les enfants, être balloté au gré du vent, faire comme l’oiseau, aller tutoyer les étoiles, c’était ça qu’il voulait faire dans la vie.
Hélas, mille fois hélas, le sort en décidât autrement. Il apprit la triste nouvelle lors de la visite médicale : s’il était en plastique, il n’était pas en latex. Et c’est en latex que l’on fait les ballons festifs aux mille couleurs[3].
Patatras ! « Moi qui pensais que tous les plastiques pouvaient être ballons ! » s’écria-t-il. Terrassé par cette affreuse nouvelle, il en tomba sur le PET.
« Qu’à cela ne tienne, si je ne peux être ballon, je serai couvre-semelle ! ». Si cette décision peut paraître étonnante de prime abord – une semelle c’est quand même franchement plus terre à terre qu’un ballon – elle permettait à Kevin de se rapprocher potentiellement du caoutchouc des semelles et donc, du latex[4]. Et puis ça restait un usage bref et jetable. Kevin sentait qu’il était fait pour une vie courte mais trépidante.
Un couvre-semelles ??? Ses amis étaient dubitatifs. Ils n’y croyaient pas. Certes, en tant que plastiques, ils travaillaient déjà activement se disperser dans tous les objets du quotidien des humains. Ceci d’ailleurs avec une facilité qui les étonnaient toujours. « Ah ces humains ! », pensaient-ils.
Mais un couvre-semelle ? Pas une petite charlotte bleue comme on en voit sur les chaussures des médecins dans les hôpitaux. Ça c’est classe, on sent que c’est du couvre-semelle qui contribue à sauver des vies. Non, là c’est un film en plastique qui se déroule automatiquement et qui vient se coller à ladite semelle. Un peu comme un cellophane qu’on aurait sorti de la cuisine. Il suffit de poser le pied dessus et de le dérouler gentiment pour recouvrir le dessous de la chaussure. Magique !
« Mais pourquoi, pourquoi ? » s’étonnèrent en cœur ses ami·es.
« Mais pour protéger la semelle » répondit Kevin. « Pas pour qu’elle ne s’abîme pas, mais bien pour qu’elle ne salisse pas le sol ».
« Oooooooooh, quelle magnifique façon de continuer à consommer de plus en plus de plastique, c’est génial ! » s’exclamèrent Paulie, Propy et Styrène, qui étaient abasourdis par tant d’ingéniosité humaine. « Ça va contribuer à augmenter encore la production de plastique qui ne fait que croître dans le monde. On était déjà à 400 millions de tonnes par an. On va encore faire plus », s’enthousiasma la bande.
« Mais comment font-ils, ces humains, pour ne pas simplement enlever leurs chaussures à l’intérieur ? Ou mettre des chaussons réutilisables ? Non seulement ça leur coûterait moins cher mais ce serait aussi cohérent avec leurs politiques de développement durable ! » s’enquirent-ils.
« Simple », répondit Kévin. Voici leurs arguments :
« Mais, c’est traduit avec les pieds ! » s’exclama Paulie, une lueur d’admiration dans les yeux.
Et comment ne pas être admiratif ?
C’est moche, c’est cher (plus de 80 € quand même !), ça consomme du plastique inutilement, la description ferait passer un SMS pour un roman primé au Goncourt mais ça se vend.
On laissera le mot de la fin à Séverine, cliente d’une grande enseigne sur Internet : « Vraiment inutile, il faut avoir les chaussures propres non mouillé pour que cela fonctionne ».
Tout est dit.
[1] Prénom d’emprunt pour préserver l’anonymat du polymère.
[2] Tous les polymères ne sont pas des plastiques, certes, mais on est pas sur Wikipédia non plus.
[3] Le latex est considéré comme un plastique au sens de la directive « Single Use Plastic ».
[4] Ce n’était pas la seule possibilité, mais Kevin n’était pas prêt à tout.