L’Union européenne est autosuffisante pour beaucoup de produits mais dépend encore pas mal des importations pour nourrir sa population. L’idéal serait un système alimentaire résilient, où il y a une production locale diversifiée. Mais l’autosuffisance est-elle vraiment un objectif ? Comment augmenter notre autonomie et garantir la sécurité alimentaire ? Voici quelques éléments de réponse.

Sommaire :

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Produit-on de quoi se nourrir ?

Au sein de l’Union européenne, la situation est très variable d’un pays ou d’une région à l’autre, ainsi que d’un aliment à l’autre.

Par exemple, la France importe 20 % des aliments consommés sur son territoire (et ça continue d’augmenter)[1]. Elle est pourtant la première puissance agricole européenne, on aurait donc pu penser qu’elle était autonome et exportatrice nette[2].

Qu’en est-il d’une région comme la Wallonie ? Le projet « Céréal » a fait le calcul : en Wallonie le taux d’auto approvisionnement est de 17 %[3]. Le reste vient de Flandre ou est importé hors de Belgique. La province wallonne qui s’en sort le mieux – le Hainaut – plafonne à un score de 5,8/10 en auto-approvisionnement « humain » (calcul basé sur la nourriture à destination des êtres humains.)

Taux d'autoapprovisionnement (humain) pour la Wallonie

Source : Céréal – Calculateur de l’état de résilience alimentaire.
 

Vu la taille du territoire et la densité de population, être autonome en alimentation est difficile pour de petits pays ou régions.

Si on regarde à l’échelle de l’Europe, la situation est bien meilleure. Le rapport publié en 2023 par l’Union européenne ne donne pas de taux moyen mais on y voit que l’Union européenne est auto-suffisante pour beaucoup de produits[4].

Il faut cependant aller au-delà de certains chiffres. Par exemple, si on regarde du côté de la production de viande, on constate que :

  • L’Union européenne est pour ainsi dire autosuffisante en viande. Ça veut dire qu’on produit environ la même quantité de viande que l’on consomme.
  • Par contre, elle ne l’est absolument pas pour la nourriture pour les animaux d’élevage. Ce qui signifie qu’on ne produit pas assez d’aliments pour nourrir notre bétail.

Or, pour produire de la viande, il faut nourrir les animaux. Autrement dit, d’un point de vue autosuffisance, ça ne sert à rien de produire assez de viande si on doit importer la nourriture destinée aux animaux d’élevage.

La dépendance au soja importé (essentiellement utilisé pour nourrir des animaux d’élevage) est flagrante : l’Europe n’est auto-suffisante qu’à hauteur de 15 % dans ce domaine. Les engrais sont aussi un des produits pour lesquels l’Union européenne n’est pas autosuffisante.
 

Sécurité alimentaire ou autosuffisance ?

On le constate : il n’est pas évident d’être autosuffisants. Mais qu’est-ce exactement ? En quoi est-ce que ça diffère de la sécurité alimentaire ?

Sécurité alimentaire et autosuffisance sont deux concepts qui ont le même but : fournir de la nourriture en suffisance à la population. Leur manière d’y arriver est toutefois très différente et les deux ont des avantages mais aussi des faiblesses :

  • Avec la sécurité alimentaire on utilise la production intérieure (ce qu’on produit nous-mêmes) et on y ajoute les importations.
    Le tout donne assez de nourriture mais implique des échanges avec d’autres pays, et donc une certaine dépendance à ces pays. On dépend des importations, qui peuvent être mises à mal par divers problèmes dans les pays producteurs (climat, conflits…) ou par la remise en cause d’accords commerciaux par exemple.
  • L’autosuffisance, au contraire, s’appuie uniquement sur les capacités de production intérieures pour fournir assez de nourriture à la population. On est plus dans une idée d’autonomie que de sécurité d’approvisionnement[5].
    L’autosuffisance peut être impactée par de mauvaises récoltes par exemple. Et on pourrait plus difficilement les compenser par des importations si celles-ci n’existent pas de façon structurelle (car on aurait opté pour une stratégie d’autonomie alimentaire).
     

Faut-il être autosuffisant ?

La question est plus politique qu’environnementale. Si on importe, c’est aussi parce que l’on exporte (pas nécessairement les mêmes produits évidemment). Si on n’importe plus certains produits, pas sûr qu’en contrepartie les pays qui nous fournissaient ces importations continuent encore à acheter nos exportations. Les cas de rétorsions commerciales sont nombreux : si tu ne veux pas de mon bœuf aux hormones, je taxe tes exportations de vin.

Si l’on se limitait aux productions européennes, il n’y aurait pas d’agriculture telle qu’on la connaît aujourd’hui. Toutefois, face aux risques (climatiques, géopolitiques…) qui pèsent sur notre capacité à nous nourrir, nos systèmes alimentaires doivent devenir plus résilients.

> Lire aussi : C’est quoi la résilience alimentaire ?

Cela signifie notamment relocaliser l’alimentation, avec une production locale diversifiée. De cette façon on diminue notre dépendance aux importations et on bénéficie de divers avantages : on réduit les gaz à effet de serre dus au transport, on favorise les circuits courts, ce qui permet aussi d’avoir moins d’aliments très transformés (avec par exemple l’ajout de conservateurs pour garantir une longue conservation vu le transport, etc.).

> Lire : Comment va-t-on manger demain ?

Mais cela ne signifie pas vivre en autarcie ou être complètement autonome. Certaines régions sont mieux placées que d’autres pour produire certains aliments, il est aussi nécessaire d’avoir des débouchés pour écouler une surproduction et, de manière générale, il est important de continuer à maintenir des échanges. D’ailleurs, le transport (comme l’emballage) ne représente souvent pas la part principale de l’impact environnemental d’un aliment, c’est la culture (et la façon de la faire) qui compte le plus[6].

L'idée est donc que chaque territoire devienne plus résilient, pour avoir un meilleur contrôle sur sa capacité à nourrir sa propre population. Mais cela sans pour autant arrêter toute forme d'échanges. On n’est pas prêts de faire pousser du café ou du cacao en Belgique mais ce n’est pas non plus là le cœur de notre alimentation…
 

Comment augmenter notre autonomie alimentaire ?

Pour augmenter l’autonomie alimentaire, il y a deux pistes :

  • Produire ce que l’on ne produit pas ou pas assez. Pour l’Europe, on parle surtout des protéines végétales (pour nourrir les animaux d’élevage) et des engrais. Produire plus de protéines végétales c’est aussi trouver des terres pour le faire, ce qui rentrera forcément en concurrence avec d’autres utilisations de ces terres.
  • Adapter notre consommation à ce que l’on peut raisonnablement produire.

Sur ce dernier point et pour ne reprendre que l’exemple de l’élevage, réduire la consommation de viande produite de manière intensive permettrait de diminuer notre dépendance à la nourriture importée pour les animaux (et réduirait aussi la déforestation dans les pays producteurs !)[7].

La possibilité d’être autosuffisant en viande (toutes viandes confondues) avec uniquement les ressources belges (pas d’importation de nourriture) a d’ailleurs été étudiée. Conclusion : c’est possible avec 27g de viande par personne et par jour[8]. C’est une moyenne bien sûr : rien n’empêche de manger un steak un jour et de manger végétarien d’autres jours de la semaine.

L’élevage wallon (du moins bovin) s’en sort plutôt bien à ce niveau : la Wallonie produit environ 50 % de la viande bovine en Belgique[9] et son élevage est plutôt extensif[10].

Bref, il s’agit de manger moins de viande pour manger mieux.

> Lire aussi : Manger moins de viande : par où commencer ?

Et les bénéfices ne sont pas que dans l’assiettes. Avec des animaux nourris « sur place » (des vaches en prairie par exemple, avec un nombre d’animaux compatible avec la quantité d’herbe disponible toute l’année), pas besoin d’importer de la nourriture. C’est l’occasion de privilégier les élevages liés au sol (contrairement aux élevages intensifs, déconnectés du sol, à l’image des poulets de batterie entassés sur plusieurs étages dans des entrepôts dans des conditions déplorables). Favoriser les élevages en prairie cela permet aussi de maintenir les paysages, d’exploiter des zones parfois difficiles à cultiver (pente, composition du sol…) et d’éviter que ces espaces ne soient bâtis (avec la perte de milieu naturel et de biodiversité qui va avec). Enfin, les prairies sont des zones qui captent du carbone.

Un autre enjeu de taille consiste à gaspiller moins de nourriture. Ce qu’on jette ne nourrit personne…  Or, en Europe, 55 % du gaspillage alimentaire se produit chez les consommateurs. Cela représente environ 70 kg de nourriture par personne et par an.

> Voir : 12 conseils pour éviter le gaspillage alimentaire.

On en revient toujours à l’idée de « moins et mieux ».
 

Plus d'infos

 

[1] « La souveraineté alimentaire de la France en quatre questions », lesechos.fr (2020) ; « L’autonomie alimentaire de la France et au sein de ses territoires » (PDF) ; ou encore ce rapport du Sénat (français) de 2019.

[2] Exportatrice nette, cela signifierait que même si elle importe, il y aurait plus d’exportations que d’importations.

[4] Tableaux sur le site agridata.ec.europa.eu, rapport en PDF ici (automne 2023 - anglais). Deux articles intéressants pour comprendre les chiffres bruts : « Souveraineté alimentaire européenne, que disent les chiffres ? » d’agricultures-strategies.eu et « Union européenne : une autonomie stratégique ouverte à tous les vents ? » d’agridees.com. On en parle aussi dans le rapport 2023 « Resilient EU2030 » de la présidence espagnole de l’UE (qui aborde notamment l’alimentation).

[6] Ceci est une généralité, il y a bien sûr des cas particuliers. Par exemple importer de la salade en avion aura un impact « transport » proportionnellement plus important que de transporter un kilo de viande en camion.

[7] À ce sujet, le podcast « Le Tournant » du 11 février 2024 sur un éleveur qui souhaite être autonome en nourriture est intéressant.

[8] Voir l’étude de Greenpeace dont on parle dans notre article « La Belgique peut réduire l’impact de l’élevage sur le climat de 58% ».

[10] 58% extensif, 42% intensif  dans « Study on Livestock scenarios for Belgium in 2050 », Baret et al, 2013. La définition des systèmes d’élevage (intensif, extensif, semi-intensif…) se trouve entre autres dans cette étude-ci : « Etat des lieux et scénarios à horizon 2050 de la filière lait en Région wallonne ».

 

Dernière mise à jour
20 mars 2024
Thématiques
Rédigé par
Renaud De Bruyn

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